Ce lundi j’aurais dû être à Beyrouth avec l’ensemble de l’Académie Goncourt pour apporter un soutien au peuple libanais et participer à la foire du livre.
L’Académie devait aussi faire sa réunion pour établir la dernière liste des romans retenus pour le Prix Goncourt et l’annoncer demain à partir de la capitale libanaise.
Voilà que le ministre de la Culture de l’actuel gouvernement, Mohammed Mortada, proche du parti chiite Amal, lequel est dans le giron du Hezbollah, parti et armée installés au Liban et financés par l’Iran, publie un communiqué où il ne nous souhaite pas la bienvenue.
Il accuse certains membres de l’Académie Goncourt, sans les nommer, «d’embrasser les projets sionistes dans la presse et dans la politique». Il écrit ensuite qu’il «ne permettrait pas à des sionistes de venir parmi nous et de répandre le venin du sionisme au Liban».
Nous aurions pu traiter ce genre d’accusation par le mépris, mais nous sommes dans un pays où règne un grand chaos, où il n’y a pas de sécurité et où des écrivains et des journalistes, sans parler d’un président de la République ont été assassinés en plein jour.
Je rappelle que trois écrivains et journalistes importants ont été froidement assassinés ces dernières années: Samir Kassir, Hassan Hamdan et Lokman Slim.
Samir était mon ami. Il avait la double nationalité, vivait entre la France et le Liban.
Il était critique. Il prenait au sérieux le rôle de l’écrivain. Témoin et citoyen concerné. C’était une belle intelligence, subtil, cultivé et généreux. Il était encore jeune; il venait de se marier. Mort assassiné.
J’aime ce pays blessé, meurtri, pillé et laissé dans une grande solitude. Mais tant qu’il n’a pas le pouvoir, les moyens et les hommes qu’il faut pour se débarrasser d’un corps étranger sur son sol, le Hezbollah, il ne pourra pas se relever.
Le président et le secrétaire général de l’Académie, ainsi que Paule Constant ont décidé d’honorer ce rendez-vous pris avec les étudiants et les écrivains du Liban.
Pourquoi ai-je refusé de me rendre à Beyrouth? A ce que je sache, je ne suis pas sioniste, loin de là. Mais le fait d’avoir appuyé les Accords d’Abraham qui ont reconnu la marocanité du Sahara et la reprise des relations avec Israël ferait de moi un sioniste.
Le ministre libanais visait certainement Pierre Assouline et Pascal Bruckner, deux écrivains ayant toujours défendu l’Etat d’Israël. Quant à moi, mes prises de position politique ne peuvent pas plaire à cet homme entre les mains du pouvoir iranien.
L’Iran est un Etat qui a toujours été un adversaire de mon pays.
Les médias ont rendu compte de ce mini-scandale. Les écrivains et organisateurs du salon du livre de Beyrouth ont essayé de nous rassurer quant à notre sécurité sur place. Mais comment aller chez quelqu’un qui vous dit en face: on ne veut pas de vous chez nous?
Certes ce ministre, à la solde du Hezbollah, ne représente que lui-même. Mais comment être sûr qu’un autre fou ne se lève le matin pour faire un carnage dans une capitale où la police est dépassée et où il n’y a aucune sécurité pour personne?
L’Académie Goncourt est un symbole. Symbole de rigueur et d’intégrité. Symbole d’une France cultivée et ouverte sur le reste du monde. Elle décerne le prix littéraire le plus prestigieux d’Europe. Un Prix Goncourt aujourd’hui est quasi l’équivalent d’un Nobel à l’échelle de la langue française dans le monde.
Voilà pourquoi le déplacement à Beyrouth de six membres de ce jury a été annulé.
L’Académie Goncourt aurait pu décider de ne pas se rendre au Liban. Mais nous fonctionnons démocratiquement. Le président et le secrétaire général ont plaidé pour la présence, une façon de dire au ministre que «nous ne tenons pas compte» de ses déclarations belliqueuses. Chacun a pris sa décision d’y aller ou de ne pas y aller en toute liberté.
La littérature, la bonne littérature sera au Salon de Beyrouth. Et de là, l’Académie Goncourt annoncera la liste des quatre finalistes et rencontrera les étudiants qui participent au Choix Goncourt de l’Orient qui regroupe une douzaine d'universités du monde arabe.