L’Algérie dans la littérature

Famille Ben Jelloun

ChroniqueEn cette rentrée littéraire deux romans se répondent et se suivent pour nous dire pourquoi l’Algérie est une terre meurtrie et comble ses blessures par la haine. La violence que nous connaissons de la part de nos voisins vient de loin.

Le 12/09/2022 à 11h03

Quand l’histoire bégaie ou s’enlise dans des méandres irrationnels, il faut se tourner vers la littérature, car la fiction a le pouvoir de mieux expliquer ce qui se passe tant les faits sont confus ou mystérieux.

Ainsi, en cette rentrée littéraire deux romans se répondent et se suivent pour nous dire pourquoi l’Algérie est une terre meurtrie et comble ses blessures par la haine. La violence que nous connaissons de la part de nos voisins vient de loin. Elle a ses racines dans l’histoire, dans les grandes humiliations qu’a subi le peuple algérien, de l’occupation ottomane à la colonisation française.

«Attaquer la terre et le soleil» est un roman de Mathieu Belezi (Editions Le Tripode) qui raconte l’arrivée d’une poignée de colons en Algérie en 1830, accompagnés de militaires qui vont pratiquer sur les paysans une brutalité terrible au point où l’on a du mal à croire que la colonisation a débuté dans le sang et les exécutions sommaires de pauvres gens sans défense.

Le deuxième roman «Un homme sans titre» de Xavier Leclerc (Gallimard) part du reportage qu’Albert Camus avait fait en 1939 dans la Kabylie où il y avait une misère atroce. Le grand père de l’auteur était originaire du village dont parlait Camus. Xavier Leclerc raconte l’histoire de ce grand père qui fera la guerre aux côtés des Français et mourra pour la France. Le roman continue en relatant la vie du père de Xavier, ouvrier immigré dans une France sans pitié et sans générosité. Il mourra de fatigue et de tristesse. Xavier Leclerc est le nom français d’un Algérien qui avait commencé à écrire sous son nom kabyle. Il explique dans le roman pourquoi il a changé de nom.

Ces deux livres sont magnifiques. Ecrits dans une superbe langue, ils disent la colonisation et ses effets sans haine, sans ressentiment. Mais c’est au lecteur de comprendre que tant d’injustice, tant de blessures faites à un peuple, le condamne à porter une mémoire déchirée, pleine de pus et de haine.

De génération en génération, le peuple algérien a transmis ce lourd fardeau que l’Histoire n’a pas su reconnaître ni réparer.

Des historiens se demandent d’où vient la violence qu’on rencontre en Algérie (voir par exemple l’horrible époque des années quatre-vingt- dix où la guerre civile a fait des ravages dans presque toutes les familles). Cette violence qui a amené des Algériens à égorger d’autres Algériens, prend racine dans les premières années de la colonisation française qui ont été particulièrement brutales et scandaleuses.

Une chanson des soldats dit: «courons au carnage/Vive le pillage/Mitraillons/Brûlons, saccageons!/Et cueillons des galons: Nous colonisons».

La cruauté sans pareil des soldats français assoiffés de sang est décrite avec des mots simples.

Un officier dit: «(…) nous marchons comme un seul homme dans les rues coupe-gorge de vos villes et de vos villages, saccageons vos mosquées, vos casbahs, vos tombeaux, piétinons avec rage vos champs de blé, coupons à la hache vos orangers, oliviers, citronniers, amandiers …». Les femmes seront violées; celles qui résistent sont exécutées.

Ce qu’a subi le peuple algérien est terrible. Suivront d’autres épisodes de massacres comme celui de Sétif en 1945. La guerre d’indépendance a été terrible des deux côtés. Cela vient du fait que cette colonisation était à la base faite de cruauté et de barbarie.

Je pense qu’en lisant ces deux superbes romans, on comprend mieux l’état actuel de ce pays qui mérite de vivre dans la paix et la prospérité. C’est aussi à cause de cette mémoire lourde et sentant mauvais que les relations avec la France ne seront jamais tout à fait apaisées ni sereines. Quant à notre pays, prenons patience et soyons calmes et clairvoyants. Les peuples portent leur histoire sur le dos et dans les semelles de leurs chaussures. C’est ce qu’avait écrit un grand poète algérien, Kateb Yacine. 

Par Tahar Ben Jelloun
Le 12/09/2022 à 11h03