Très bonne initiative de Aziz Akhannouch d’avoir réuni quelques artistes pour parler culture. Il y avait des peintres, des cinéastes et un directeur des musées. Il manquait deux ou trois écrivains, surtout des femmes. La culture est un domaine vaste. La littérature y a sa place même si ces derniers temps la lecture devient de plus en plus rare. On peut le dire sans vexer personne: le Marocain n’est ni un grand ni un petit lecteur. Il ne lit pas. Peut-être parce que ses parents ne lisaient pas non plus ou que ses enseignants n’ont pas su lui donner le goût de la lecture. Ceux qui lisent se comptent. C’est une minorité. Une ville comme Tanger avec un million d’habitants compte deux librairies et quelques papeteries où des livres, surtout scolaires, sont en vente.
Aziz Akhannouch a été bien inspiré de penser à l’avenir, son avenir politique et de miser sur la culture. On sait que l’Etat n’attribue que très peu de moyens au ministère de la Culture. A la limite il pourrait supprimer ce ministère, seuls ses salariés s’en rendraient compte. C’est pour cela que le geste d’Akhannouch est intéressant. Comme en Amérique où le poste de ministre de la Culture n’existe pas, c’est au domaine privé ayant de gros moyens de se substituer à l’Etat et de faire vivre la culture dans le pays. Lorsqu’un président américain lit un roman, c’est un événement relayé par tous les médias. Rares sont les hommes politiques qui consacrent du temps à la lecture. L’ancien président François Hollande avoue lui-même ne pas lire de littérature. Son ancienne compagne Valérie Trierweiler, l’incitait à lire des romans, ce qui se révéla être une tâche rude. Sarkozy lit peu, et aime faire savoir qu’il s’intéresse à certains romans. Quant à Macron, il est plus attiré par des essais philosophiques que par la fiction.
Sa Majesté Mohammed VI est non seulement un grand lecteur, mais un homme très attaché à la culture. Je sais qu’il se tient au courant de ce que publient les auteurs marocains aussi bien en arabe que dans d’autres langues.
On pourrait imaginer un pays sans culture. Pas de littérature, pas de musique, pas de théâtre, pas de cinéma, pas de peinture… Ce serait un immense désert où les rêves auraient disparu, où l’homme aurait perdu son humanité, un pays où règnerait le chaos, la guerre, la barbarie. Une société qui aurait fermé toutes les portes et fenêtres de la culture va sûrement à sa perte.
Certains pensent que la culture c’est superflu. Peut-être, mais que vaut la vie sans ce superflu?
Nos hommes fortunés sont capables de dépenser en une soirée– un mariage ou une fête familiale– quelques millions de dirhams pour épater la galerie. Comme tout le monde nous aimons la fête, pas forcément le faste, le grand déballage du clinquant, le gaspillage dans un pays où le salaire minimum ne nourrit pas son homme.
Parmi ces mêmes hommes fortunés, certains achètent de la peinture. Ces vingt dernières années, grâce aussi à l’intérêt manifesté par Sa Majesté, des collectionneurs se sont mis à s’intéresser à la peinture marocaine. Un marché de l’art existe. Quelques artistes disparus ont une bonne cote. Ils sont de plus en plus recherchés. Des faux circulent, preuve que cet intérêt est réel et qu’il est convoité de tous les côtés, y compris par les faussaires et les imposteurs.
Malgré le système de l’avance, l’Etat n’a pas les moyens de subventionner et d’accompagner des productions d’un jeune cinéma ambitieux. Nos hommes fortunés pourraient devenir des producteurs. Pour cela il faudrait qu’ils renoncent à l’idée de gagner vite de l’argent. Le cinéma est le domaine du risque.
Puisque Aziz Akhannouch a donné l’exemple– on verra ce qu’il entreprendra–, les autres pourraient suivre son exemple et financer des projets culturels qui existent un peu partout dans le pays attendant des subsides qui ne viennent pas.
J’ai visité l’autre jour un «café théâtre» (Théâtre Darna) à Tanger (très modeste et surtout avec très peu de moyens) ayant recueilli des enfants des rues et leur a donné la possibilité de jouer, d’inventer, d’imaginer et surtout de ne plus être abandonnés à la violence des rues. C’est par la culture qu’on sauvera cette enfance jetée dans la rue. Pour cela, il suffira d’un peu d’argent, un peu d’humanisme, un peu de solidarité pour permettre à des jeunes voués à la délinquance de sortir de cet enfer et d’avoir un avenir où l’espoir aurait un sens.