Honte, peur, silence

Famille Ben Jelloun

ChroniqueJacques Bouthier disait aux jeunes filles de sa filiale de Tanger : «tu couches ou je te vire». Ensuite il prétendait avoir des relations privilégiées avec la police de la ville. Les témoignages rapportés par plusieurs personnes sont accablants.

Le 30/05/2022 à 11h00

Un nouveau scandale agite les milieux politiques et médiatiques en France: le nouveau ministre chargé des Solidarités, de l’Autonomie et des personnes handicapées, lui-même handicapé moteur, est accusé par deux femmes de les avoir violées en 2010 et 2011.

Damien Abad était jusqu’à la semaine dernière le porte-parole des Républicains à l’Assemblée nationale. Il a quitté son parti et a rejoint la «Macronie», parti du président qui vient d’être réélu.

Ce qu’il y a de scandaleux dans cette histoire, ce n’est pas l’accusation dont fait l’objet le ministre. Depuis quelques années, le nombre de femmes victimes de viol ou de harcèlement de la part de personnalités connues ne cesse d’augmenter. Mais le cas de Damien Abad est plus dramatique. Les deux accusatrices ont attendu qu’il devienne ministre pour intensifier leur offensive.

Vrai ou faux, la justice dira son mot.

Mais ce qui m’a le plus choqué, c’est la défense de M. Damien Abad. Il a utilisé sa situation de handicapé moteur pour justifier que son état physique ne lui permettait pas de commettre le crime dont il est accusé, donnant des détails scabreux.

Plusieurs médias en France ont révélé le cas de l’ex-PDG d’Assu 2000 Jacques Bouthier, qui, comme l’a dit un témoin «venait à Tanger faire son marché parmi les jeunes employées âgées entre 18 et 25 ans». Mis en examen et incarcéré pour «traite des êtres humains et viol sur mineure», cet homme pratiquait le chantage et le harcèlement auprès des jeunes filles de sa filiale de Tanger. Il leur disait «tu couches ou je te vire», ensuite il prétendait avoir des relations privilégiées avec la police de la ville. Les témoignages rapportés par plusieurs personnes sont accablants. On se croirait dans la jungle où ce type se comportait en prédateur, pensant qu’il pouvait tout faire dans un pays dont il méprisait les lois et la justice. Une jeune fille a dit: «il se croyait au temps de la colonisation; quant à son hygiène, elle n’est pas top-top»!

Comme pour la pédophilie, longtemps des pervers venaient au Maroc uniquement pour ça. Depuis des associations sont vigilantes et la justice aussi. Cela ne veut pas dire qu’une minorité de Marocains, aussi pervers et prédateurs que des étrangers, ne profite pas de la précarité de certains enfants, les abusent, les violent et tout le monde se tait.

Par ailleurs, les violences conjugales existent chez nous. Sauf qu’on n’en parle pas. Dans les villes, des femmes arrivent à porter plainte contre leur conjoint et parfois cela aboutit à un procès et à des condamnations. C’est très rare. Souvent c’est la honte, la peur et le silence qui l’emportent.

Mais que savons-nous de ce qu’il se passe dans les campagnes où les familles vivent dans la promiscuité et le silence? Que savons-nous des affaires d’inceste ou de pédophilie dans certaines régions éloignées des villes? Rien.

Silence et bouche cousue. La honte, la peur, le silence.

La violence est parfois des deux côtés. J’ai assisté l’autre jour dans un consulat du Maroc en province à une scène digne d’un film ramadanesque: un homme d’un certain âge, blême, peut-être malade, est venu au consulat réclamer justice, car son épouse l’aurait dépouillé de tout et se serait mariée avec un autre homme sans avoir divorcé de lui. Il se plaignait, disant qu’elle aurait détourné toutes ses économies et installé son nouveau mari à sa place.

Le consul, patient, n’arrivait pas à trouver une logique dans ce que racontait cet homme, au bord des larmes. Moi non plus. A un moment, il a avoué, qu’elle le frappait. Chose rare. Il a baissé les yeux et a murmuré qu’elle le battait avec un bâton.

J’arrête là ce cas. Je ne sais pas si l’homme disait la vérité ou s’il fabulait. Le fait est qu’il voulait refaire son passeport parce que la femme le lui aurait volé. Une histoire qui aurait pu être comique si le visage de l’homme ne suintait pas la tristesse et le chagrin. Il faisait pitié.

Le consul me dit que des cas de ce genre sont fréquents, ce sont souvent les femmes qui viennent se plaindre d’un mari qui les abandonne en se mariant avec une plus jeune et qui les laisse sans ressources.

Tout cela est crédible et nous renseigne sur l’état de notre société, qu’elle soit émigrée ou dans le pays. Les médias au Maroc donnent des informations sur des faits divers souvent dramatiques. Ils devraient venir passer quelques jours dans les couloirs de nos consulats et écouter ce que racontent des hommes et des femmes qui ne viennent pas uniquement pour renouveler leur passeport.

Ils auront de quoi remplir des pages et peut-être, par l’information, participeront à assainir la situation des familles émigrées qui connaissent des situations de violence ou de comportement absurdes. 

Par Tahar Ben Jelloun
Le 30/05/2022 à 11h00