Nous menons une vie artificielle

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.. KF Corporate

ChroniquePour avoir enseigné les sciences de l'environnement pendant six ans, je savais tout cela; mais une chose est de connaître les faits en théorie, une autre est d’y être brutalement confronté.

Le 22/06/2022 à 10h58

Vous me pardonnerez le ton trop sérieux de ce billet. Mais parfois quelques observations font soudain sens à cause de leur concomitance; et il arrive que ce sens ne soit pas très gai; et il devient alors difficile de rester souriant et optimiste. Qu’on en juge.

1- Il y a quelques semaines, je fis la route qui relie Laâyoune à Foum-el-Oued, sur la côte atlantique. (Foum-el-Oued est en fait la plage de Laâyoune –je la recommande à ceux qui ne la connaissent pas: elle est belle et très bien aménagée. Et on peut s’arrêter en chemin pour boire sous la tente ce délicieux thé sahraoui dont la préparation est tout un cérémonial.) Comme tous ceux qui empruntent pour la première fois ce trajet, je fus surpris de tomber sur une sorte de ballet gracieux exécuté par des bulldozers sur les bas-côtés. Le sympathique directeur de l'Institut Africain de Recherche en Agriculture Durable, qui se trouve à Foum-el-Oued, m’accompagnait. Il m’expliqua de quoi il s’agissait: les bulldozers transposent du sable d’un côté de la route à l’autre, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sur une longueur de huit kilomètres. S’ils s’arrêtaient, la dune aurait vite faire de recouvrir l’asphalte; et la route disparaîtrait.

En somme, les bulldozers font en sorte que la dune, dans son mouvement naturel et séculaire, “saute“ la route au lieu de la recouvrir. On pense immédiatement à Sisyphe roulant sans fin son rocher –sauf qu’il ne s’agit pas ici d’un acte absurde, mais d’une nécessité proprement existentielle.

2- Le soir, dans ce petit hôtel de Laâyoune qui porte curieusement un nom italien, je lus dans un hebdomadaire spécialisé un article sur le projet de dessalement d’eau de mer qui va permettre à Agadir et à sa région de ne pas manquer de ce qu’il y a de plus précieux sur Terre, ce sans quoi toute vie est impossible: l’eau. Dessalement…

3- Et puis hier, j’entendis avec stupeur, sur la BBC, un officiel ukrainien accusant les Russes d’avoir détruit une quantité de céréales équivalente à “ce dont a besoin le Maroc”. Mais oui: il cita nommément notre pays. Je me demande combien d’Ukrainiens savent de nous plus que ce détail: que nous avons un besoin vital de leur blé.

Et soudain, tout cela fit sens. La conclusion est préoccupante: notre existence n’est plus du tout naturelle. Elle est artificielle. Loin de nous rendre “maîtres et possesseurs de la nature“, selon la formule de Descartes, nous lui avons tourné le dos. Nous sommes obligés de brûler de l’énergie fossile dans des moteurs de bulldozer pour empêcher le mouvement naturel du sable dans le désert. Ayant épuisé l’eau des nappes phréatiques, nous sommes contraints de “fabriquer“ de l’eau artificielle. Et pour nous nourrir, nos champs ne suffisent plus, nous dépendons de Slaves lointains.

Pour avoir enseigné les sciences de l'environnement pendant six ans, je savais tout cela; mais une chose est de connaître les faits en théorie, une autre est d’y être brutalement confronté. La vision des bulldozers-Sysiphe sur la route de Foum-el-Oued m’a réveillé de mon sommeil académique. La situation est grave: nous menons une vie artificielle.

Que faire? Je ne sais pas. Mais il faut au moins comprendre le problème si nous voulons réfléchir à des solutions. Pendant des centaines de milliers d’années, l’homme a mené une vie naturelle. Nous sommes la première génération à mener une vie artificielle. Elle ne pourra pas durer.

On dit que les jeunes ne s'intéressent plus à la politique parce qu’il n’y a plus de grands enjeux –plus de prolétariat à libérer un “grand soir“. Mais voici un autre enjeu, vital, et qui mérite qu’on se batte pour lui: sortir de l’artificiel, retrouver la symbiose avec la nature. Vaste programme, certes; quel parti politique s’en emparera? 

Par Fouad Laroui
Le 22/06/2022 à 10h58

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"Malheur à celui qui protège le désert". Nietzsche.

Cette opération perpétuelle qui se déroule quotidiennement sur un tronçon de 8 km m'inspire cette proposition basique: si C est le coût global journalier (que je suppose constant, pour simplifier le calcul) et T la durée de l'opération de déblaiement d'ici jusqu'à "la fin de l’éternité" (comme dirait Woody Allen "l'éternité est longue, surtout à la fin"), alors le coût total serait de C×T. Or C×T est infini (à cause de T). D'où ma proposition: creusons un tunnel de 8 km pour laisser la dune baladeuse passer au-dessus de la route. Le coût de l'opération serait largement inférieur au coût infini C×T... On a bien construit un tunnel sous les vagues baladeuses de la Manche entre la France et la Grande Bretagne !

Bonne solution d’ingénieur. Les comptables et les financiers ne seront pas forcément d’accord...

Vous aviez écrit à juste titre dans une ancienne chronique : « Que sont les insectes devenus » … On pourrait aussi dire : que sont nos Eucalyptus, nos Noyers, Nos Palmiers, nos Arbres et nos belles forets devenus ?! … Je suis né dans un patelin très verdoyant à l’Est du Maroc, quand j’y reviens j’ai le vertige tellement c’est méconnaissable. D’énormes Eucalyptus ont été rasés, des petites maisons avec jardins rasées … tout a été rasé et Cimenté … Qui en est responsable ? … A l’échelle planétaire, l’attitude des Humains envers les Arbres et les Forets est Criminelle et Suicidaire. Merci

Très triste et très vrai, hélas.

Le lien implicite entre les trois sujets n’est pas évident. Une myriade d’interdépendances entre les entités d’écosystème et leur positions trophiques globales font qu’aucune région terrestre ou maritime ne se soustrait du monde. L’exemple de l’île de Pâques en Chili démontre à quel point l’intrusion artificielle de l’Homme est préjudiciable tant à la qualité de la vie qu’à la nature. Mais loin de ces considérations scientifiques, l’officier ukrainien dilue un stigma socioéconomique dans son témoignage. At the end of his tether, he should worry more about his country than a faraway one. If it is true that Morocco imports wheat, it is associated with the standard of living الخبز و أتاي Southern Mediterranean countries consume much bread. In Egypt, they say العيش life.

la croissance démographique n'est jamais sérieusement abordée. On est trop nombreux sur la terre! Il s'ensuit des prob d'ordre économique, écologique...La terre est bouffée par le béton des promoteurs...On a des désirs et des besoins qui dépassent nos moyens , donc logiquement on s'achemine vers des situations de déséqulibre voire de crise insurmontables....Le gd défi c'est comment rétablir l''quilibre!!! Encore faut-il ns en soucier!!!

"La terre est bouffée par le béton des promoteurs...". Tout à fait d'accord!

Bonjour Monsieur Yousef. Serions-nous une espèce qui a les moyens d'éviter sa disparition de la surface de la terre, contrairement aux espèces qui nous ont précédés? That is the question! Cordialement.

Tout à fait d'accord. On est passé en un siècle d'un milliard d'habitants sur la planète à ... 7 milliards! C'est tout simplement intenable. Malheureusement la plupart des gens sont dans le déni. Ils refusent de voir le problème. Dans certains pays d'Afrique ou d'Asie, les hommes et les femmes sont encore très fiers d'avoir 8 ou 9 enfants. Ces inconscients nous mènent à la catastrophe.

Bsr professeur.Gouverner,c'est prévoir à l'avance tous les scénarios.Il ne faut pas attendre la dernière minute pour trouver des solutions à des problèmes qui auraient pu être résolus bien avant.Malheureusement,pour beaucoup de pays,les responsables ne pensent jamais à l'avenir,ils se préoccupent seulement du présent et prévoient des solutions immédiates qui s'avèrent inefficaces à long terme.Les citoyens,eux aussi,n'aident pas en ne gaspillant pas l'eau et le pain et surtout en ne contrôlant pas les projets pour voir s'ils ne comportent pas de défauts.Merci pour ce joli billet qui nous met en garde.Et merci au 360.ma.

C'est dramatique !!! Et on doit se réveiller. On. S'intéresse plus à la politique c'est sûr, mais le rôle des politiciens est de chercher à libérer leur société.

Pour l'eau d'Agadir, j'y vis, ne pas laisser les eaux de Oued Souss se perdre tout les hivers dans l'atlantique reglera la question. Pour le blé , c'est à reviser notre culture de manger. Jusqu'à quand toujours du blé. Pour le sable de Laayoune-Foum el oued, j'y était pour douze belles années, c'est toute Laayoune qui devrait étre faite à Fou-el oued.

Je ne suis pas sûre que les trois sujets relèvent de la même logique. Acheter le lé à l'Ukraine, alors que nous vendons nos tomates et nos agrumes c'est du commerce mondialisé, par contre déplacer du sable sur le mode "mythe de sysiphe" c'est une erreur d'ingénierie, non?

C'est vrai, c'est une autre logique. Mais en fin de compte, c'est aussi une certaine artificialisation de la vie: on ne vit plus en symbiose avec la nature qui nous entoure directement.

les autorités auraient dus y penser avant de lancer les travaux d'autoroute, et en incluant les frais des bulldozers sur "FOREVER", et peut être ils auraient trouvé plus économique de faire une route suspendue, et qui serait libérée de toutes ces contraintes et logistique oh combien coûteuse, certes le coût aurait été prohibitif si on compare uniquement la réalisation de la route mais sur le long terme l'option la plus coûteuse se révélera la moins coûteuse sur le long terme, et je crois que le même raisonnement s'applique à toutes les routes du royaume qui sont des chantiers permanents. pour ce qui est du dessalement à noter que c'est une technologie coûteuse en énergie pour un pays dépendant en énergie, on aurait du s'attaquer au "gaspilleurs" d'eau plutôt que mutualiser les pertes ..

d'accord avec vous. je voudrais juste ajouter que les gaspilleurs d'eau sont surtout les agricultures gourmandes en eau et étrangères à nos terres (genre avocats ..) ainsi que des aquaparks qui poussent comme des champignons dans des villes sèches , genre marrakech .. merci.

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