La guerre qui oppose actuellement l’armée éthiopienne aux sécessionnistes du Tigré ne peut être comprise que si nous analysons la situation à travers la «longue durée». Le fond du problème est que les Tigréens qui, avec le royaume d’Axoum, sont à l’origine de la fondation de l’Ethiopie, n’acceptent pas de se voir aujourd’hui placés sous la tutelle de leurs anciens vassaux.
Le royaume d’Axoum était tourné vers la mer Rouge, l’ouverture de la région semblant dater de la fondation du port d’Adoulis, l’actuelle ville de Massawa, au IIIe siècle avant l’ère chrétienne. Adoulis fut le poumon d’Axoum et son avant-port. Sa richesse explique la prospérité du royaume qui participait étroitement au commerce avec l’Asie. Jusqu’au VIe siècle de l’ère chrétienne, Axoum s’étendit sur les deux rives de la mer Rouge et contrôla tous les ports de sa partie méridionale, jusqu’à Eudeamon (Aden), contrôlant ainsi le verrou de cette voie commerciale qui était le détroit de Bab-el-Mandeb.
L’expansion d’Axoum se fit également en direction du plateau éthiopien, dans la région du lac Tana. Ce fut d’ailleurs à la suite de ce mouvement que le cœur du royaume bascula peu à peu vers ces régions nouvellement conquises. Cette évolution fut amplifiée après le VIe siècle, à l’époque du roi Kaleb, dont le règne marqua un tournant dans l’histoire du royaume. Allié de Byzance contre les Perses, Axoum recula alors en Arabie face à ces derniers. En 572, le royaume perdit ainsi le contrôle du sud de l’Arabie quand un corps expéditionnaire perse débarqué dans la région d’Eudéamon (Aden) conquit la rive arabe de la mer Rouge. Le monopole commercial axoumite fut alors largement entamé, ce qui provoqua la ruine puis la décadence du royaume.
Au VIIe siècle, au danger perse succéda une nouvelle menace qui était l’expansion arabo-musulmane laquelle, non seulement repoussa définitivement Axoum sur la rive africaine, mais encore coupa les liens qui unissaient le royaume au monde byzantin. Désormais, la mer qui avait fait la fortune d’Axoum fut porteuse de périls et le royaume se replia vers les hautes terres de l’intérieur pour devenir peu à peu l’Ethiopie. Abritée par le massif éthiopien, une chrétienté africaine allait désormais vivre assiégée.
A la différence d’Axoum tourné vers la mer Rouge, l’Ethiopie eut une définition continentale puisqu’elle se construisit à l’abri des montagnes encadrant le plateau abyssin où, d’une matrice commune, se différencièrent les Amhara et les Tigréens avec leurs langues respectives, l’amhara et le tigrinia.
Au XIIe siècle, le Tigré connut un nouvel essor à travers un Etat dominé par la dynastie Zagwé qui régna jusqu’en 1270. Ce fut alors que furent édifiées ces merveilles architecturales que sont les églises taillées dans le roc, dont la célèbre église Saint Georges de Lalibela. La dynastie tigréenne des Zagwé formée de sept souverains, régna un siècle et demi environ. Son plus célèbre représentant fut le roi Lalibéla.
En 1270, un chef amhara nommé Yekuno Amlak, qui régna jusqu’en 1283, conquit le Tigré. Avec lui, naquit la dynastie dite des «Salomonides» car ses membres prétendaient descendre du roi Salomon et de la reine de Saba. Désormais, le Tigré devint une province de l’Empire éthiopien, mais, les empereurs d’Ethiopie furent intronisés dans la cathédrale d’Axoum.
A travers bien des vicissitudes, cette dynastie se maintint au pouvoir jusqu’en 1974, année de la déposition du négus Hailé Sélassié qui régnait depuis 1930, suivie peu après par la prise du pouvoir par un régime marxiste. Une terrible guerre civile éclata ensuite et le 21 mai 1991, le FPLT (Front populaire de libération du Tigré) de Meles Zenawi conquit Addis-Abeba.
A travers le FPLT, les Tigréens demeurèrent au pouvoir jusqu’en 2012, date de la mort de Meles Zenawi. Leur leadership fut ensuite violemment contesté, à la fois par les Oromo et par les Amhara. Le Premier ministre Hailé Mariam Dessalegn, un Tigréen successeur de Meles Zenawi, ordonna alors à la police de réprimer les émeutes. Puis, durant l’été 2016, eurent lieu des affrontements entre Tigréens et Amhara, lors desquels, des dizaines de milliers de Tigréens furent chassés de la région de Gondar et partirent se réfugier au Tigré.
Le 15 février 2018, le Premier ministre tigréen, Hailé Mariam Dessalegn, présenta sa démission et son successeur fut Abiy Ahmed, de père Oromo et de mère Amhara. A partir de ce moment les rapports devinrent conflictuels et la mosaïque ethno-tribale de l’Ethiopie menaça de se déliter en raison de revendications identitaires contradictoires.
En 2020, la Commission électorale nationale décida de reporter les élections nationales prévues au mois d’août en raison de la crise liée au coronavirus. Puis, le Parlement fédéral entérina cette décision et s’auto-prorogea. Cette extension du mandat des députés entraîna de fait la prorogation du mandat du Premier ministre Abiy Ahmed, ce qui déclencha la fureur des grands partis ethno-régionaux d’opposition, à savoir le FLO (Front de libération de l’Ogaden), parti somali, et des divers partis oromo. Mais alors que ces partis acceptèrent finalement le fait accompli, le FLPT entra en dissidence, et le 9 septembre, il organisa des élections régionales en dépit de l’interdiction formelle décidée par le gouvernement fédéral.
Le mardi 6 octobre 2020, les sénateurs éthiopiens votèrent la rupture des contacts entre les autorités fédérales et le FLPT, puis la guerre éclata. Dans un premier temps, soutenue par l’armée érythréenne, l’armée éthiopienne s’empara du Tigré. Mais organisés en force de guérilla, les Tigréens contre-attaquèrent au mois de juin 2021 et ils mirent en déroute les forces qui leur étaient hostiles.
Le problème est que, désormais, le Tigré exige son indépendance. Or, la moitié nord de l’Erythrée est peuplée de Tigréens…