Au lendemain du second conflit mondial, à travers la «crise berbériste», se posa en réalité la question de l’identité algérienne: est-elle arabo-musulmane ou bien berbère et arabo-musulmane? Puis, après l’indépendance, comme les berbéristes affirmaient la double composante de l’Algérie, arabe et berbère, les leaders du FLN, véritable parti-Etat, parlèrent de dérive «ethnique», «raciste» et «xénophobe».
Retour sur une question qui explique le malaise identitaire de l’Algérie d’aujourd’hui.
Pour Messali Hadj, alors leader nationaliste incontesté, arabisme et islamisme étaient les éléments constitutifs sans lesquels l’Algérie algérienne ne pourrait pas faire «coaguler» ses populations. Pour lui l’Algérie était une composante de la nation arabe, sa religion était l’islam et le berbérisme un moyen pour le colonisateur de diviser les Algériens.
En 1948, le mouvement nationaliste PPA/MTLD, dans son appel à l’ONU inscrivit la phrase suivante: «la nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le VIIe siècle», affirmation qui provoqua la fureur de sa composante kabyle. Un an plus tard, en 1949, au sein de la section de métropole du PPA-MLTD, éclata la «crise berbériste».
Tout partit d’un vote quand le Comité directeur de la Fédération de France du PPA/MTLD, largement dominé par les berbéristes vota à une écrasante majorité une motion rejetant le postulat d’une Algérie arabe. Après ce vote, les deux camps en vinrent aux mains. Mis en accusation pour régionalisme et anti-nationalisme, les cadres kabyles furent écartés de la direction du parti puis exclus, cependant que certains furent assassinés, comme Ali Rabia en 1952.
Les partisans de l’idéologie arabo-islamique allèrent alors jusqu’à affirmer que les Berbères étaient sortis de l’histoire. La revue Al Maghrib publia ainsi un article dans lequel il était écrit que n’ayant pas de généalogie, les Berbères ne peuvent accéder au Paradis que s’ils se rattachent à des lignées arabes... Quant au ministre algérien de l’Education nationale, il déclara en 1962 que «les Berbères sont une invention des Pères Blancs».
Ce refus de la réalité historique et ethno-politique repose sur le postulat selon lequel l’islamisation aurait marqué la fin de l’histoire des Berbères, leur conversion massive à l’Islam, il y a quatorze siècles, les ayant inscrits de façon irréversible dans l’aire culturelle de l’Islam, donc de l’arabité.
La guerre interne au courant nationaliste laissa des traces et l’opposition entre berbéristes et arabo-islamistes se prolongea durant la période de la guerre d’indépendance durant laquelle le berbérisme fut évacué de la revendication nationaliste au profit de l’arabo-islamisme qui devint la doctrine officielle du FLN.
Or, sur le terrain, la guerre contre la France fut essentiellement menée par des Berbères dont les chefs étaient Abane, Amirouche, Krim Belkacem ou encore Aït-Ahmed.
Une fois l’indépendance obtenue, face au rouleau compresseur du FLN et après l’échec de la rébellion kabyle de 1963, la revendication berbère fut clandestine. Avec le colonel Boumédiène, la politique d’arabisation devint en effet systématique, fondée sur les conclusions de la Conférence nationale sur l’arabisation qui fit totalement encadrer le pays par la langue arabe et nia toute existence au tamazight.
Le courant berbériste se reforma ensuite, notamment à Paris où, en 1967, fut fondée l’Académie Berbère d’Echanges et de Recherches Culturels qui se transforma, deux ans plus tard, en 1969, en Académie Berbère dont la revendication fut plus militante.
En 1988, l’ouverture démocratique donna une forte impulsion à la revendication berbériste avec la création du MCB (Mouvement culturel berbère) mais, au même moment, Abbassi Madani et Ali Belhadj fondèrent le FIS (Front islamique du salut) dont le programme était la création d’un Etat islamique arabe et au mois de juin 1990, ce mouvement remporta les élections municipales. Pour tenter de freiner la montée du courant islamiste, les autorités lui donnèrent des gages en renforçant encore l’orientation arabo-musulmane de l’Algérie. La loi du 16 janvier 1991 renforça ainsi encore davantage l’exclusivisme de la langue arabe, de fortes amendes étant prévues pour les contrevenants.
La contestation berbère reprit ensuite avec la «grève du cartable» quand, durant les années 1994-1995 les élèves kabyles boycottèrent les écoles. Ce mouvement réussit à faire plier les autorités qui créèrent le HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité), rattaché à la Présidence, puis la langue berbère fut introduite dans le système scolaire. Ces mesures cosmétiques ne freinèrent cependant pas la prise de conscience berbère et en 1998, de très violentes émeutes suivirent l’assassinat du chanteur Matoub Lounès. A partir de là, le climat devint insurrectionnel. Au mois d’avril 2001, la Kabylie fut même en feu à la suite de la mort d’un lycéen prénommé Massinissa, abattu par la gendarmerie. Puis, le 14 juin, les Kabyles marchèrent sur Alger avant d’être durement réprimés par la police.
La revendication ayant échoué sur le terrain politique, les militants berbères choisirent d’abandonner ce dernier pour mener le combat culturel. Ce retour aux sources leur fit alors déchirer le voile de la fausse histoire enseignée depuis 1962 et ils découvrirent ce qui se murmurait, à savoir qu’ils avaient été les «dindons de la farce» de l’indépendance algérienne. Certains affirmèrent même que les Berbères avaient subi une nouvelle colonisation dès le départ des Français.