L’an dernier, nous avons été privés des joies ramadanesques, à part ch-hiwates qui nous tenaillent toute la journée, tel lawhame (envies de femme enceinte). Le soir, nous nous rattrapons royalement.
Le Maroc est le pays de l’abondance des produits alimentaires d’un terroir généreux, riche, diversifié, gorgé d’un soleil qui donne aux fruits et légumes une saveur unique. Le mets le plus simple est savoureux. Tel le tajine de elbannaya (maçons): vous passez devant un chantier où les ouvriers font mijoter leur tajine. L’odeur vous donne l’eau à la bouche. Pourtant, souvent, il n’y pas de viande, juste des légumes et des condiments. Ajouté à cela, un savoir-faire culinaire ancestral, et ça donne une population dont la principale source de bonheur est de déguster de bons plats. A la rupture du jeûne, les tables débordent car c’est l’œil qui mange, dit-on. Les plus démunis se rabattent sur les spécialités marocaines. Plus on a les moyens, plus la table est internationale. Les rituels rendent ce mois agréable… Mais à partir du coucher du soleil !
Or, nous allons passer un deuxième ramadan particulier… Pas agréable!
Lamentations, déceptions, colère à l’annonce du couvre-feu! Une décision difficile à prendre vu ses répercussions désastreuses sur l’économie. Mais si sage.
Nous voilà enfermés la nuit. Or, c’est pendant ce mois que l’activité nocturne est dense. Les Marocains occupent les espaces publics massivement pour les prières et pour les loisirs en famille et entre amis.
Ramadan c’est le partage et silate arrahim (renouer avec les proches), une bonne action. Impossible!
Certains sont satisfaits de cette décision, conscients de la menace d’une troisième vague. Rachid: «bonne décision. Souvenez-vous des dégâts provoqués par les déplacements de la population pour l’Aïd el kbir». Les mères sont débordées par les préparatifs: ftour, dîner, s'hour et grignotage entre ces repas. Sabah: «c’est un mois où l’on explose les budgets: on mange et on reçoit beaucoup. Les travaux dans la cuisine sont interminables. Allah, cette année j’aurai la paix». Celles dont les maris sont adeptes des jeux de carte sont ravies: «ils crient, ils boivent, ils mangent. Je n’arrête pas de servir leurs caprices». Certains parents: «nos enfants resteront sous notre garde au lieu de disparaître jusqu’à l’aube».
Mais beaucoup sont en colère: «le virus ne circule que la nuit?». Non, mais la nuit les villes et les villages sont bondés de nos concitoyens chez qui il y a un relâchement des mesures de protection. Déjà hors ramadan, de nombreux cafés et restaurants ignorent ces mesures. La fermeture des mosquées déçoit énormément. Un père: «l’ambiance autour de la table est triste sans les proches». D’habitude, hommes et femmes renouent avec l’habit traditionnel. Aziza: «frustrant de ne pas porter nos beaux djellabas et caftans. Ça me manque ce côté festif».
Une autre frustration: rester à la maison. Outre l’ennui, les conflits lorsque la famille nombreuse vit dans un espace réduit. Leila: «l’année dernière, c’était invivable: les cris des enfants, les disputes pour la télévision, le père furieux car on le dérange alors qu’il prie, la grand-mère qui veut dormir… D’habitude, les hommes sortent jusqu’au diner et nous les femmes, après les travaux à la cuisine, nous marchons, visitons la famille… Mais là, tout le monde est sur ses nerfs, agressif».
Les plus frustrés sont les célibataires.
Les jeunes filles, contrairement aux autres mois, ont le droit de sortir la nuit. Là, elles en sont privées. Quant aux jeunes hommes, ils se disent les plus touchés par le couvre-feu. D’abord parce qu’ils ont l’habitude d’occuper les espaces publics la nuit. Ensuite, de jour, ils ne peuvent fréquenter des filles ni avoir des rapports intimes. Jade: «awili ! Un mois sans voir des copines, sans draguer, sans toucher une femme. Mais on va exploser!». Effectivement, les couples sont lésés, privés de leur intimité. Simo: «heureusement qu’il y a Internet, même si ça ne compense pas la privation». Une privation qui développe une grande dynamique dans le web : drague et pornographie.
En temps normal, les Marocains passent tous les jours, en moyenne, près de 8 heures face à la télévision. En ce ramadan-ci, ce chiffre risque de doubler. Espérons que notre production nationale sera à la hauteur et non pas une honte!
Ce ramadan s’annonce triste, mais nous pouvons l’égayer en arrêtant de râler, en cherchant des sources de plaisir, des activités contre l’ennui, en innovant, en optimisant le temps: sport, jeux de société… Au lieu de s’isoler, chacun plongé dans son smartphone. Internet donne la possibilité de se réunir, gratuitement, à distance. Samira: «le premier jour de ramadan, nous avons pris le ftour avec notre fille qui est en France et mon frère au Canada. Nous n’avons pas la joie pas d’être physiquement ensemble, mais c’était agréable et ça évite de manger seule sans ses proches». Pourquoi pas?
Enfin, n’oublions pas que nous sommes dans une meilleure situation que l’année dernière: nous ne sommes pas confinés pendant la journée.
Notre rôle en tant que citoyens est d’accepter des sacrifices pour être solidaires avec toutes les personnes mobilisées sans relâche depuis le début de la pandémie. Le rôle du croyant est d’œuvrer pour l’intérêt collectif. Ainsi, nous pouvons préparer un ramadan 1442 sain, et serein. Excellent ramadan et armons-nous de sbèèèèèère (patience). Ça ira, in cha'Allah.