Le prince charmant est fortement présent dans la représentation féminine du mariage. Les attentes des jeunes filles sont énormes. Le mariage est une promotion sociale et surtout la liberté dont elles ont été privées chez leurs parents. Wiame, 22 ans: «toutes les belles choses que je veux faire, ma mère me dit d’attendre de les faire avec mon mari!»
Côté homme, le mariage est une fin et non un début. Les hommes vivent dans une société permissive à leur égard, y compris pour l’expérience sexuelle prémaritale. L’âge moyen du mariage est en recul: 28 ans pour les filles et 31 pour les hommes. Le célibat étouffe les femmes, mais donne toutes les chances d’épanouissement aux hommes. Le mariage est une fin: «wa barraka 3like (stop), range-toi, tu t’es assez amusé». L’épouse va l’assagir: «il te faut une femme qui te rende la raison, te stabilise, te ligote les pieds…». Pour les hommes, le mariage les prive de liberté et les charge de responsabilités. Pour les femmes, le mariage donne des ailes, pour les hommes, le mariage coupe les ailes.
Si les mariages d’amour sont de plus en plus nombreux, la vie à deux n’est pas toujours aussi harmonieuse qu’espérée. Quelques sujets qui fâchent:
Iddi bi iddike (ma main dans ta main): les maris sont habitués à être servis par les mères et les sœurs, sans aucune responsabilité. Ils arrivent au mariage avec une évidence: l’épouse va endosser toute la gestion du foyer. Mais nos jeunes femmes ne l’entendent pas de cette oreille! Elles veulent bien gérer le foyer, mais avec la participation de l’époux. Le partage des rôles est une des principales sources de tension chez les jeunes couples.
La société a toujours méprisé l’homme qui participe aux travaux ménagers, des besognes de femmes qui dévalorisent la virilité. Il n’y a pas pire insulte pour un homme que de passer jaffafa ou el karratha (serpillère). Mais les mutations sociales créent des profils de femmes qui se révoltent contre les rôles traditionnels des époux. Quand la femme travaille hors du foyer, elle exige l’aide du mari. D’où des conflits pouvant mener au divorce. Nawal: «nous avons tous les deux les mêmes journées de travail. Mais le soir, il va se reposer et se distraire avec ses amis et moi, je commence une nouvelle journée de travail. C’est pas juste!». En fin de soirée, les femmes sont si exténuées qu’elles ne peuvent plus donner du plaisir aux époux. Tensions!
Mais il faut reconnaître que de plus en plus de jeunes hommes s’impliquent dans le foyer. Il y a près de 10 ans, quand je demandais aux hommes s’ils aidaient leurs épouses, j’avaient des réactions agressives: «mais ça va pas? Je suis un homme!». Maintenant, de plus en plus de jeunes se vantent d’aider leurs épouses et de s’occuper de leurs enfants, sans complexe.
Rajli bi rajlike (mon pied accompagne le tien): les hommes, avant le mariage, jouissent d’une pleine liberté. Ils développent un grand réseau de connaissances, ont des loisirs hors de la maison. Une fois mariés, ils se sentent privés de leur liberté. Traditionnellement, chacun des époux s’occupait dans son propre espace. La notion de couple n’existait pas. En arabe dialectal, il n’y a aucun mot pour dire le couple. On dit l’époux et l’épouse. Aujourd’hui, les jeunes épouses veulent réaliser l’opération 1+1= 1. Mais les époux n’y sont pas disposés. Pour eux, 1+1=2, voir 3 ou plus! Souvent, ils veulent garder les avantages du célibat et celui du mariage. Dris, 32 ans: «ma femme m’étouffe. Elle veut me porter comme une boucle d’oreille! J’en ai marre de fine ghadi, mnine jiti (où vas-tu, d’où tu viens)». Les jeunes femmes veulent non pas seulement cohabiter avec les époux, mais partager toute leur vie et leurs loisirs. Tensions!
Floussi floussèke (mon argent, ton argent)
La suprématie de l’homme sur la femme a été justifiée par le fait que ce soit lui qui l’entretienne. Elle dépend de lui et doit s’y soumettre. Mais aujourd’hui, de nombreuses épouses ont des rentrées d’argent, participent au budget conjugal et donc tkaddo laktafe (sont insoumises). Ce qui fait dire à Mounir, 34 ans: «je n’épouserai jamais une femme qui travaille. Laflousse tayssakhnou liha rassha (l’argent la rend révoltée)». Il est vrai qu’une femme autonome financièrement cherche à avoir une relation conjugale égalitaire car elle ne souffre pas de la phobie d’être abandonnée sans le sou par le mari. Tension!
Bghite nttallake (je veux divorcer)
L’homme peut assujettir l’épouse en la menaçant de divorcer. Sans moyens, elle se retrouve dans la précarité elle et ses enfants. En plus, la femme divorcée était très mal perçue par la société, accusée d’avoir été une épouse indigne. Mais les épouses autonomes financièrement n’ont plus peur du divorce. Elles s’assument et la société est plus clémente vis-à-vis d’elles. Le mari ne peut donc plus utiliser le divorce comme menace. Pire, c’est l’épouse qui peut menacer de divorcer, ce qui blesse la virilité du mari. La réforme du code de la famille introduit la notion de discordance (chikake) qui facilite le divorce. Tension!
La relation époux/épouse est donc en pleine mutation. Elle peut être tumultueuse quand le mari reste prisonnier de son éducation traditionnelle alors qu’il a fait le choix d’épouser une femme moderne. Elle peut être harmonieuse quand le mari est assez souple pour s’adapter aux changements et que l’épouse est non pas révoltée, mais consensuelle.