Soubhane Allah!

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ChroniqueComme en temps de guerre, on nous dit aujourd’hui: l’eau est précieuse, ne la gaspillez pas. On menace même de mettre les gaspilleurs à l’amende. Vraiment?

Le 19/11/2022 à 09h02

Il y a un vieux chant mystique marocain, beau comme une prière incantatoire, qui s’étonne des changements de saison. Nass El Ghiwane et d’autres l’ont tripoté et adapté à leur manière. Le texte invoque Dieu, qui a changé le printemps en automne et l’hiver en été.

Mais nous parlons d’un texte ancien, et les changements climatiques ici n’ont aucune valeur écologique. Il était trop tôt pour parler du réchauffement climatique, de la couche d’ozone et d’autres préoccupations modernes. L’auteur se servait de l’inversion climatique comme d’une figure de style, pour nous dire: Dieu est en colère parce que les hommes l’ont déçu, alors il a déréglé le ciel pour nous punir.

Soubhane Allah!

Les changements climatiques que nous vivons aujourd’hui, que l’on peut difficilement mettre sur le compte d’une colère divine, font tous apparaitre l’eau comme une matière menacée, en voie d’évaporation. Il fait plus chaud, et plus souvent. Alors les lits de rivière s’assèchent et le niveau des barrages baisse.

Comme en temps de guerre, on nous dit aujourd’hui: l’eau est précieuse, ne la gaspillez pas. On menace même de mettre les gaspilleurs à l’amende. C’est paradoxal dans un pays comme le Maroc, où tout le monde, notamment à la campagne, n’est pas raccordé à l’eau potable. Car la question devient: comment ne pas gaspiller une eau que l’on ne possède pas, à la base?

Maintenant, à quoi peut servir cet exposé sur les chants mystiques, les changements climatiques et la menace qui pèse sur l’eau potable? Quand je regarde l’arroseur de ce petit espace vert en face de moi, je suis tenté de répondre: à rien, mais alors rien du tout!

Ce matin, il fait gris et, sans consulter les prévisions météo, on voit bien que la pluie n’est plus très loin. Mesdames et messieurs, il va enfin pleuvoir. Dieu merci. Mais notre arroseur communal ne veut rien savoir. Il n’a pas consulté les bulletins météo, personne ne lui a rien dit, ses supérieurs lui ont juste demandé: prends ton tuyau et arrose!

Alors il arrose. Ce jour férié doit lui valoir un double salaire. Motivé et muni d’un tuyau sans faille, il s’acharne depuis de longues minutes sur un petit bout de pelouse qu’il a pris pour cible.

Sans discontinuer, un jet d’eau impitoyable s’abat sur le gazon, qui n’en peut plus. Mais l’arroseur s’acharne. Quand il s’éloigne de la pelouse pour fumer une cigarette, ou répondre à son téléphone, il maintient le tuyau «ouvert». La petite pelouse ressemble bientôt à un marécage.

Et ce qui devait arriver arriva. Les premières gouttes de pluie font leur apparition. Les passants commencent à se raréfier. L’endroit est bientôt désert. Et l’arroseur communal continue d’arroser.

Soudain, c’est l’averse, des trombes d’eau s’abattent furieusement sur le sol. Le ciel est très en colère. Pris de court, paniqué, notre arroseur communal lâche enfin son affaire et court chercher un abri de l’autre côté de la corniche casablancaise.

Sans couper son tuyau!

Par Karim Boukhari
Le 19/11/2022 à 09h02