Ces jours-ci, c’est la joie pour l’amateur de football. Les matchs se suivent dans le cadre de l’Euro 2024, deux ou trois par jour, avec des séquences somptueuses -vous avez vu les buts de la Turquie? (Oui, ce n’est pas une faute de frappe, la Turquie fait bel et bien partie de l’Europe quand il s’agit de football…)
Donc hier, juste avant le match Portugal-Slovaquie, j’envoie mon pronostic (4-2) à mes frères. Chacun dans sa ville -Benguerir, Casablanca, Mohammedia, Cannes-, nous regardons les matchs et donnons nos prévisions. Ça ajoute du sel au spectacle. Le gagnant se rengorge et est assez fier de lui en attendant le prochain rendez-vous.
Donc 4-2 pour moi; 3-1 pour le citoyen de Mohammedia… Mais voilà que le Casablancais, le plus féru de technique, a une idée insolite: il embauche ChatGPT et lui pose la question de façon très précise. En une nanoseconde, l’algorithme lui répond: 2-1 pour le Portugal.
Quatre-vingt-dix minutes plus tard, le match se termine sur le score de 2-1 pour le Portugal…
Ce micro-évènement m’a plongé dans un abîme de réflexion. La première: et si la Slovaquie l’avait remporté par 8-0? La chose n’était pas impossible. Pour autant, la réponse du robot n’était pas fausse: elle indiquait simplement ce qui devrait se passer si une certaine logique était respectée.
Ibn Roshd définissait le miracle (mou’jiza) comme ce qui se passe quand les lois de la nature ne sont pas respectées. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère: le miracle, c’est ce qui se passe quand l’algorithme se trompe…
Deuxième question, d’éthique: mon frère a-t-il gagné et nous, avons-nous perdu?
La question n’est pas oiseuse. Bien au contraire. Elle va se poser de plus en plus au fur et à mesure que l’IA va engloutir des pans entiers de l’activité humaine.
En fait, ChatGPT n’a donné la bonne réponse que parce que mon frère a formulé sa question avec précision et intelligence. S’il avait demandé à l’algorithme: «Salut mon pote, entre les larmoyants amateurs de fado et ceux qui mangent du bryndzové halušky à tous les repas, tu vois qui, comme ça, là, entre nous?», ChatGPT aurait sans doute répondu: «Le général De Gaulle» ou «Une souris amnésique». Loin, très loin de toute réalité. On peut donc considérer mon frère comme un gagnant légitime puisqu’il a su formuler sa question de façon à obtenir un résultat exact.
Par conséquent, l’avenir de l’humanité passe par la formation de bataillons de gens qui savent poser les questions. Je ne plaisante pas, c’est très sérieux. Dans quelques années, on entendra ce genre de dialogue:
- Vous faites quoi dans la vie?
- Je suis PQIA (Poseur de Questions à l’IA).
Je lance ici l’idée d’une École Supérieure de Formulation des Bonnes Questions. Je vois bien l’ESFBQ dans une université d’excellence comme celle de Benguerir.
Quant à nos amis de l’OFPPT, ils devraient se lancer eux aussi dans ce créneau, où l’on apprend à bien formuler sa pensée.
- Vous enseignez à l’OFPPT de Boujniba? Vous y faites quoi?
- Moi? Je suis FFQ (Formateur de Formulateurs de Questions).
Cela dit, savoir poser les questions était déjà l’enseignement fondamental de Socrate, il y a plus de 2.500 ans… Donc l’ESFBQ et l’OFPPT n’ont pas besoin de réinventer la roue: il leur suffit de donner de solides cours d’épistémologie aux étudiants.
Mais là, j’arrête sinon on va croire que je prêche pour ma paroisse…