Qui paye les sorties? Les hommes? Les femmes? Les deux?

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueLa domination masculine est légitimée par le fait que les femmes sont financièrement dépendantes des hommes. L’autonomisation des femmes par le travail rémunéré a transformé les relations hommes-femmes. Qu’en est-il alors des comportements face à l’argent?

Le 05/05/2023 à 11h01

L’homme est-il toujours perçu comme le pourvoyeur lors des sorties?

Intéressons-nous aux hommes et aux femmes célibataires. Qui paye les sorties?

Les comportements diffèrent selon les générations et surtout le type de relation: sorties entre amies et amis ou sorties de drague, d’amour et/ou de sexualité.

Parmi les moins jeunes, ce sont les hommes qui payent dans les cafés et les restaurants. C’est une affaire d’honneur, de dignité. Mouad, 43 ans: «Wa saaafi! Jamais une femme ne payera pour moi. Sinon où est ma rojola (masculinité)?»

C’est aussi lié à la virilité. On dit que la valeur de l’homme, c’est sa poche et sa braguette! Si sa braguette ne fonctionne plus, sa poche compense!

C’est aussi une sorte de générosité de la part des hommes, sans arrière-pensée. Youssef, 47 ans: «J’ai un grand cœur. J’aime faire plaisir à mes amies».

Mais chez les plus jeunes, il devient normal qu’une femme se prenne en charge elle-même. Dans l’amitié, chacun pour soi. Nora, 23 ans: «Normal que je paye ma part». Les mentalités changent. Ali, 25 ans: «Je n’ai pas de complexes quand des amies payent l’addition. Des fois, c’est moi».

Les jeunes demandent à payer séparément aux serveurs, ce qui choque les moins jeunes. Mouad: «C’est honteux de payer chacun sa part en présence de femmes. Si je n’ai pas de moyens, je ne sors pas!»

Les plus jeunes répondent qu’au contraire, c’est le moyen de sortir plus souvent puisqu’ils ne sont pas contraints de dépenser beaucoup.

Beaucoup de jeunes filles refusent que des hommes payent pour elles. C’est une manière d’imposer leur dignité: «C’est du respect vis-à-vis de moi. Si des hommes payent pour moi, ils auront des droits sur mon corps».

Mais les avis changent dans les relations autres qu’amicales.

Malgré l’évolution des mentalités, de trop nombreuses jeunes filles considèrent encore que c’est l’homme qui doit débourser: «C’est un signe de virilité, de nafse (orgueil); un homme qui accepte qu’une femme paye sa consommation est une femmelette».

Ces jeunes filles font une distinction entre les sorties avec des amis et des collègues et les sorties avec des partenaires de relations amoureuses. Entre amis, on ne compte pas. Mais si une relation intime est envisagée, les jeux sont faussés: l’homme doit prouver sa générosité, une valeur très recherchée par les jeunes filles. Pour certaines, elle peut être symbolique, telle une rose; ou plus importante: sorties dans des lieux luxueux, parfum, voyages, bijoux…

Les jeunes filles décodent les premiers rendez-vous. Souad: «Le café ou le restaurant où il m’invite révèle son degré de générosité. Un homme m’a dit qu’il fonctionne à l’américaine et qu’on divise l’addition en deux. Je l’ai quitté en jetant la somme intégrale sur la table. Je lui ai que moi, je fonctionne à la marocaine».

Beaucoup de jeunes filles disent que leurs partenaires doivent payer, car elles investissent pour leur plaire: épilation, manucure et pédicure, coiffeur, parfum, habits…

Beaucoup de femmes, modernes et autonomes, continuent à voir dans le partenaire le principal pourvoyeur des sorties.

Ce qui fait dire aux jeunes hommes que les Marocaines sont matérialistes. Adyl, 29 ans: «C’est frustrant! Les filles vont vers des hommes qui ont les moyens, de belles voitures, qui les emmènent dans des restaurants luxueux. Elles refusent de sortir avec des jeunes qui n’ont pas encore les moyens et choisissent des hommes plus âgés».

Certains jeunes hommes utilisent la ruse: «Pour draguer, je sors avec un ami qui ramène la belle voiture de ses parents. Je m’invente un père industriel, une villa dans un quartier résidentiel. J’ai alors du succès. Dès que je quitte la voiture pour draguer à pied, aucune fille ne s’intéresse à moi!»

Mais attention, pas toutes les filles!

Cependant, nous vivons dans une ère de consommation massive, où, à travers le monde, les gens sont évalués à partir de signes extérieurs de richesse.

Les réseaux sociaux, espace d’exhibition d’une richesse réelle ou simulée, poussent beaucoup de jeunes filles à rêver de luxe facile. Elles cherchent le profit auprès des hommes. Adyl: «Dès que tu parles avec une fille, elle te dit « envoie-moi ta’bi-a (recharge téléphonique) »!»

Ce genre de matérialisme est remarqué même dans les pays les plus développés où les femmes sont le plus émancipées. Mais attention, ne généralisons pas sur toutes les femmes!

Pour beaucoup d’hommes, il est normal de dépenser de l’argent dans la séduction. Brahim: «Si tu la dragues, tu dois l’inviter, et inviter c’est payer!»

Il faut épater les filles en les conviant dans des lieux agréables et donc coûteux. Ça fait partie de la stratégie de la drague.

Brahim: «C’est toujours les hommes qui doivent casquer! C’est comme une opération marketing, avec un retour d’investissement!»

Beaucoup de jeunes filles autonomes financièrement trouvent qu’un homme qui invite une femme est classe, galant. Mais selon Mounia, «cela n’empêche pas que la femme mette la main à la poche de temps en temps. Sinon, elle devient profiteuse».

Malheureusement, beaucoup de jeunes filles se font entretenir par des hommes, parfois plus âgés qu’elles, parfois mariés, pour s’offrir des loisirs et des articles de luxe: habits, sacs, smartphones…

Mais si les hommes utilisent leur argent pour appâter les filles, tous reconnaissent que quand une fille se prend en charge, elle est valorisée et respectée.

Brahim: «Les femmes revendiquent l’égalité des sexes. Celles qui le peuvent doivent s’imposer par leur autonomie financière. En se faisant entretenir par des hommes, elles se soumettent à la domination masculine».

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 05/05/2023 à 11h01