Un manifeste élaboré par un collectif de personnalités marocaines en faveur des libertés individuelles au Maroc a mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux. Bien que le but de ce manifeste, qui entend ouvrir la voie à une réforme repose sur la notion de justice et d’égalité entre les sexes, les propositions qui y ont été faites ont déchaîné les passions.
Le programme s’annonce chargé car on y traite tant la liberté de culte, que l’héritage équitable entre hommes et femmes, l’héritage des non-musulmans, le mariage des mineurs, le mariage des femmes musulmanes à des non-musulmans, la garde des enfants après le divorce mais aussi le droit de visite, l’occupation du domicile et la tutelle légale.
Autres sujets nécessaires mais explosifs, les relations sexuelles hors mariage et la reconnaissance de la paternité, le droit à l’avortement ou encore l’adoption de la nationalité marocaine par un conjoint étranger…
Autant de propositions, en faveur des libertés individuelles listées en un seul document, ont manqué de faire s’étouffer celles et ceux qui associent toute idée de changement à une atteinte à l’islam et aux valeurs du Maroc.
Or, contrairement à ce que semblent découvrir certains détracteurs dans cette proposition de réforme, le débat n’est pas nouveau au Maroc et a toujours opposé deux camps: celui desdits conservateurs à celui de ceux qu’on désigne comme modernistes, ou encore celui des islamistes à celui d’une élite francophone et occidentalisée.
Si le débat n’a pas perdu de sa vigueur dès qu’il est question de libertés individuelles, la nouveauté se trouve plutôt du côté des forces vives qui ont rallié ce combat, principalement francophones et issues de la diaspora marocaine. Il fut un temps, pas si lointain, où la médiatisation du combat pour les libertés individuelles s’étalait dans les colonnes de la presse marocaine francophone, et principalement dans les magazines féminins. A cette époque, dans les années 90, pas de sites internet pour relayer l’information et pas de réseaux sociaux. L’impact de ces articles et reportages était donc limité à une petite minorité au Maroc.
Mais aujourd’hui, la donne a changé, radicalement. La politique marocaine se débat désormais de façon beaucoup plus large, les réseaux sociaux ayant permis de lui faire dépasser les frontières. Sur Twitter, la question de l’identité marocaine est devenue la chasse gardée des Moorish, la nouvelle vague francophone du nationalisme marocain, majoritairement issue de la diaspora, et qui se situe à droite. Face à eux, ceux qui sont taxés de «lefties», «gauchos», «bobos de gauche» ou «bourgeois marocains», attaqués pour leur perception d’un Maroc moderne, leur culture francophone, leur éducation teintée de laïcité.
On notera au passage l’occidentalisation, compte tenu de ces appellations attribuées aux deux camps, d’un débat purement marocain. Un comble quand les détracteurs des libertés individuelles dénoncent l’occidentalisation des mœurs au Maroc.
Ce qui se profile en réalité à travers ces débats houleux, c’est l’engagement manifeste de la jeune diaspora marocaine aux questions politiques et sociétales liées à son pays d’origine. C’est une très bonne nouvelle en soi tant cela témoigne de la force de son attachement à ses racines. En revanche, là où le bât blesse, c’est dans l’attachement viscéral à une certaine idée d’un Maroc imperméable au changement et aux réformes sociétales. Une terre promise, vierge de toute «corruption» et «dépravation» occidentales et laïques.
Or, à l’heure où les médias français ont ouvert une guerre entre l’islam et la laïcité, encore faut-il ne pas transposer ce débat au Maroc, où il n’a pas lieu d’être. Car si cette guerre de cultures et de religions a trouvé un terreau fertile en France, contrairement à d’autres nations occidentales comme le Royaume-Uni, rappelons que les partisans de cette vision manichéenne, incarnée par le parti islamiste, ont subi une cuisante défaite aux dernières élections.
Les propositions de réformes, s’agissant des libertés individuelles au Maroc, reposent sur un principe de justice et d’égalité qui a toute sa place en islam. En débattre n’est pas une atteinte à la religion mais le signe de bonne santé d’une société, prête à trouver des solutions dignes de ce nom à des drames humains qui se jouent au quotidien au Maroc. Si tenter de préserver nos valeurs et nos traditions dans la course à la modernité est un challenge qui mérite d’être soutenu, enfermer le Maroc et les Marocains dans un moule incassable n’est ni possible, ni souhaitable si tant est que l’on aspire à une société plus juste et plus équitable.