Le 30 juillet, à l’occasion de la fête du Trône, le roi Mohammed VI a accordé la grâce royale à 2.476 détenus, parmi lesquels figurent trois journalistes: Omar Radi, Soulaïmane Raissouni et Taoufik Bouachrine. Tous les trois ont été jugés pour des crimes de droit commun et ont été condamnés à des peines différentes.
S’agissant de Soulaïmane Raissouni, il a écopé en février 2022 de cinq ans de prison ferme dans une affaire d’agression sexuelle à l’encontre de Adam Mohammed, un jeune militant de la communauté LGBTQ+. L’ancien rédacteur en chef du journal Akhbar Al Yaoum, réfute toujours en bloc les faits qui lui sont reprochés, en dépit de preuves accablantes.
Le 1er septembre 2024, c’est dans les colonnes du quotidien espagnol El Independiente qu’il a choisi de s’exprimer. Mais en guise d’interview, le média s’est contenté d’offrir une tribune à Soulaïmane Raissouni, sans chercher à joindre sa victime, ce qui aurait été le minimum syndical en matière de déontologie journalistique. Stigmatisé par cette volonté délibérée de l’invisibiliser, Adam Mohammed a voulu faire entendre sa voix dans un entretien filmé. Ce qui dénote du courage de ce jeune homme dans une société qui tolère les homosexuels, mais refuse qu’ils assument publiquement leur choix de vie.
Le choix d’un média hostile au Maroc interroge
Après la grâce, c’est vers un média à la ligne éditoriale ouvertement hostile au Maroc que Soulaïmane Raissouni a choisi de se tourner pour sa première prise de parole dans un journal. Une hostilité que nourrit substantiellement le journaliste espagnol qui a mené l’entretien: Francisco Carrion, fervent défenseur du Polisario, dont les écrits critiques à l’encontre du Maroc sont le fonds de commerce.
Le choix de Raïssouni interroge, d’autant que dans cet entretien-fleuve, l’ancien journaliste «d’investigation» n’y va pas avec le dos de la cuillère pour exprimer sa rancœur. Tirant à boulets rouges sur une presse marocaine prétendument «à la solde du pouvoir», qui aurait orchestré la grande machination dont il aurait été victime, l’ancien détenu explique également les raisons pour lesquelles il n’a pas remercié le roi Mohammed VI après avoir obtenu la grâce royale. Un propos hors-sujet et instrumentalisé, étant donné que personne n’a sollicité de sa part le moindre geste de reconnaissance en direction du Souverain. Mais l’honnêteté n’est décidément pas une vertu chez ce repris de justice.
Invisibilisation de la victime et sacralisation de la figure du journaliste
Se dépeignant comme le martyr d’une cause noble, qui clame son amour pour un pays qu’il se refuse de quitter, Soulaïmane Raissouni en oublie pourtant d’évoquer, ne serait-ce qu’au détour d’une phrase, Adam Mohammed, l’homme qui l’accuse de faits graves d’agression sexuelle. Étrangement, le journaliste espagnol ne pose aucune question à son sujet. Un oubli? Non, car dès l’introduction de l’article, Soulaïmane Raissouni est dépeint comme étant «la victime d’une sauvage campagne de diffamation, d’espionnage et d’accusations inventées par l’appareil judiciaire marocain». D’Adam Mohammed, on ne dira rien, mis à part qu’«en 2021, il (Raissouni) a été condamné à 5 ans de prison pour ”agression sexuelle” présumée sur un homosexuel pour certains événements qui remontent à 2018, lorsque le journaliste réalisait un reportage sur la communauté gay, une orientation sexuelle passible de prison au Maroc».
Des accusations qu’il a toujours niées, précise-t-on ensuite. C’est tout ce qu’on saura sur le sujet, traité comme une parenthèse futile, alors même que c’est sur la base d’un solide dossier nourri d’éléments à charge que Raissouni a été incarcéré et condamné.
En agissant de la sorte, le média espagnol joue la même partition que la défense de Raissouni qui, par la voix de son avocat PJDiste Abd El Moulay El Mourouri, déclarait sans complexe en 2022: «Est-ce que la plainte d’une personne qui se vante d’être homosexuelle (c’est-à-dire du peuple de Loth) et qui prétend être victime d’une tentative de viol a vraiment pu être enregistrée? Qui devrait être arrêté? Dans quel pays cela se déroule-t-il? Stupéfiantes sont les considérations de nos gens!»
On aura compris que si Soulaïmane Raissouni a bénéficié d’une grâce royale, Adam Mohammed, la victime agressée sexuellement, n’est pas près d’obtenir grâce aux yeux de son violeur, ni même d’avoir voix au chapitre.
Réduit au silence par une presse à agenda, Adam Mohammed livre sa vérité
Peu habitué des sorties médiatiques, Adam Mohammed s’est exprimé, le 9 septembre, devant les caméras du site d’information Le360 afin de réagir, notamment, à l’interview accordée par Soulaïmane Raissouni.
Casquette vissée sur le front, larges lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage, le jeune homme ne veut pas être reconnu, même s’il assume de s’exposer. Son quotidien, depuis que son cauchemar a commencé, c’est de se cacher. Derrière ces accessoires, mais aussi derrière un pseudonyme. Victime d’une agression sexuelle, reconnue en tant que telle par la justice marocaine, il l’est aussi d’insultes, de menaces, de chantage, de pressions et de calomnies pour le contraindre à se désavouer.
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Malgré tout, le jeune homme est bien décidé à se battre contre la désinformation et à faire entendre sa voix. Est-il étonné par l’interview accordée par Raissouni au journal espagnol et son contenu? Pas vraiment. «C’était prévisible», déclare-t-il pour Le360, car «ce n’est pas la première fois» que cela arrive, que «cette affaire soit racontée selon le point de vue d’une seule partie».
Mais, ce qu’il ne conçoit pas, c’est qu’aujourd’hui, son agresseur prétende que la grâce royale qui lui été accordée visait à l’innocenter de son crime. «La grâce royale concerne uniquement la peine de prison et d’aucune façon les droits civils des autres parties de cette affaire», martèle-t-il.
Au cours de cet échange avec Le360, il raconte sa version des faits, celle qu’on ne lui permet pas d’exprimer dans la presse sensationnaliste. Bien loin de l’image d’Épinal qu’en livrent les médias, dont El Independiente, Soulaïmane Raissouni est dépeint par Adam Mohammed sous une lumière crue, qui dévoile des facettes peu glorieuses de ce personnage.