C’est une enquête-choc. Réalisée par le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, en partenariat avec l’UNICEF, elle porte sur l’évaluation de la violence à l’école, au primaire, au collège et au lycée. Et ses résultats sont accablants.
Composée d’un volet quantitatif, mené dans 260 établissements scolaires, avec la participation de 13.884 élèves, et complétée par une section qualitative, menée dans 27 établissements, l’enquête avait pour objectif d’identifier et de caractériser les actes de violence, d’établir des diagnostics et de proposer des stratégies d’action visant à contrôler la violence à l’école.
Comme l’indique l’étude, cette violence, perpétrée contre les élèves par leurs enseignants et le personnel éducatif, se traduit par des châtiments physiques, des comportements sexistes ou par de l’intimidation sexuelle et psychologique.
Climat scolaire et violence à l’école
Le climat scolaire est généralement perçu de manière positive par les élèves de tous les niveaux, mais il semble se dégrader au fil de la scolarité, pour atteindre un niveau très bas au secondaire qualifiant.
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De nombreux élèves expriment de la peur au sein de leur école, principalement en lien avec l’autorité représentée par les enseignants et les directeurs. Certains lieux de l’école sont également redoutés par les élèves du primaire, tels que les toilettes (mentionnées par 38,5% des élèves) et le bureau du directeur (32,1%). Et à l’extérieur, près de 30% des élèves du primaire ont déclaré ressentir de la peur sur le chemin de l’école.
Le bilan est assez similaire pour les élèves du secondaire. SI le ressenti global est généralement positif, certains élèves éprouvent peur et insécurité dans les espaces non surveillés, les toilettes (35,1%), les environs de l’établissement (47,5%) et sur le chemin de l’école (45%).
Les garçons, principaux auteurs des violences
Parmi les élèves du primaire, les garçons sont globalement les principaux auteurs de différents types de violences verbales et physiques, notamment les sobriquets, les insultes, les moqueries, les bousculades et les lancers d’objets. À titre d’exemple, environ 50% et 29% des élèves qui se déclarent victimes de moqueries affirment que leur auteur était, respectivement, un garçon ou un groupe de garçons de leur école, et une fille ou un groupe de filles de leur école. Concernant les cas de jet d’objets avec l’intention de faire mal, les taux respectifs sont de 61% et 22%.
Tout aussi alarmant est le cas des violences perpétrées par le staff éducatif. Selon les données de l’enquête, 47,8% des élèves ayant déclaré avoir été frappés au sein des établissements affirment l’avoir été par une enseignante et/ou un enseignant.
Dans le secondaire et selon les déclarations des élèves, les principaux auteurs des violences verbales et symboliques, insultes et moqueries notamment, sont les élèves, individuellement ou en groupe. Viennent ensuite les enseignants, les intrus et les groupes de jeunes à l’extérieur de l’établissement, le personnel et, dans des proportions nettement plus réduites, l’un des parents.
Les intrus dans les établissements sont cités comme les premiers auteurs de harcèlement en milieu scolaire urbain (par 18,6% des élèves), et davantage par les élèves de l’enseignement public (21,2%) que par ceux des écoles privées (13,1%). La proportion est inférieure dans le milieu rural, où 15,1% des élèves du primaire ont déclaré être avoir été harcelés par des intrus. Suivent les enseignants eux-mêmes, déclarés comme auteurs de harcèlement par 18,1% des élèves des écoles publiques, et 13,1% des élèves des écoles privées.
Le cas des violences genrées et à caractère sexuel
Le caractère genré de violences matérielles, corporelles ou psychiques apparaît de manière très nette. Ainsi, 63% des filles et 69,4% des garçons ont affirmé que leur auteur est un ou des garçons, alors que seulement 29,2% des filles et 16,6% des garçons ont déclaré que l’auteur est une ou des filles.
Quels que soient le milieu et le type d’enseignement, plus d’un élève du secondaire sur quatre ayant déclaré avoir été victime de harcèlement affirme que ce dernier était à caractère sexuel (25,4%). Ils sont autant (24,4%) à dire être au courant du cas d’un élève, fille ou garçon, victime de harcèlement à caractère sexuel, et 8,9% indiquent être au courant de plus de trois cas.
Ce type de harcèlement est également très masculinisé: 60% des élèves témoins de harcèlement à caractère sexuel subi par d’autres élèves ont déclaré que les auteurs sont un garçon ou un groupe de garçons, contre seulement 22,8% qui ont incriminé une fille ou un groupe de filles.
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Il en est de même dans les rangs des enseignants, également pointés du doigt comme auteurs de harcèlement à caractère sexuel. Ainsi, 18,7% des élèves témoins de ce type de harcèlement désignent un enseignant comme auteurs, contre seulement 5,5% des élèves qui indiquent une enseignante. Quant aux autres adultes travaillant dans l’école et aux intrus, ils sont déclarés respectivement par 22,2% et 14,1% des élèves témoins comme étant les auteurs d’un acte de harcèlement sexuel.
La prolifération de la cyberviolence
Concernant les cas de cyberviolence, les garçons sont nettement plus touchés que les filles. À titre illustratif, l’exclusion d’un réseau social en ligne concerne 10% des garçons, contre 5,7% des filles. Les élèves des établissements urbains privés sont globalement plus exposés à ce phénomène d’exclusion, en raison notamment de leur taux d’équipement supérieur à celui des élèves du secteur public.
Toujours au même chapitre, 8,6% des élèves affirment avoir été victimes de diffusion, via Internet ou par message, de photos, vidéos ou informations intimes les concernant, avec une proportion supérieure de garçons ayant subi de tels actes (10,3%) que de filles (6,7%).
L’enquête révèle également que 22,1% des élèves du secondaire déclarent avoir subi des injures et/ou des moqueries sur un réseau social au moins une fois. Le milieu ou le genre n’a pas de signification particulière, sauf lorsqu’il s’agit d’une exposition répétée: 5,7% des garçons affirment avoir été injuriés «cinq fois et plus» sur un réseau social, contre 4,1% des filles.
La punition à l’école a la peau dure
Les résultats de l’enquête révèlent la persistance de la punition physique dans les établissements scolaires, malgré son interdiction formelle. Et en règle générale, les garçons sont plus exposés que les filles à la punition et au châtiment corporel en particulier, quel que soit le cycle, le milieu ou le type d’enseignement. Les établissements situés dans des milieux urbains défavorisés semblent toutefois davantage touchés par ce phénomène.
Dans le cycle du primaire, 22,4% des élèves ont révélé avoir été punis une à deux fois au cours de cette année scolaire, 3,3% trois à quatre fois et moins de 2% l’ont été plus de cinq fois. Cette dernière fréquence montre un écart très net entre les garçons (3,2%) et les filles (0,6%).
Le milieu et le secteur de l’établissement conditionnent également la fréquence des punitions. Ainsi, 24,8% des élèves dans le milieu rural contre 29,4% dans le milieu urbain, et 31,7% des élèves des écoles privées contre 26,4% de ceux du secteur public ont déclaré avoir subi des punitions au moins une à deux fois durant l’année scolaire.
Les punitions, plus fréquentes dans le privé
L’étude dresse certains constats inattendus. Il en est ainsi de la persistance du châtiment corporel dans le secondaire qualifiant, certes dans des proportions plus réduites, ou encore du recours plus fréquent à plusieurs types de châtiments dans les établissements de l’enseignement privé par rapport à ceux du secteur public. Cela est probablement dû au fait que les élèves du privé seraient plus enclins à parler des punitions reçues ou inversement, et que ceux du secteur public auraient tendance à les dissimuler.
Les élèves du privé sont aussi victimes, et parfois davantage, que leurs camarades du secteur public, quand il s’agit de violences verbales et symboliques. Ils sont également plus nombreux à déclarer être victimes de violences de la part des enseignants (10,9%) que leurs camarades de l’enseignement public (3,8%). Ils sont en revanche sensiblement moins exposés aux violences physiques, au vol ou au racket.
Types et fréquence des punitions
L’enquête revient aussi sur les formes et la fréquence des punitions pratiquées à l’école, qui varient selon le milieu, le genre, le secteur et les établissements. Ainsi, si 27,6% des élèves déclarent avoir été punis au moins une à deux fois au cours de l’année scolaire, les garçons sont davantage concernés (36,3%) que les filles (19,8%).
La première catégorie de punitions concerne les punitions verbales et symboliques, qui visent l’intimidation ou l’humiliation de l’élève (brimades, insultes, interdiction de récréation, mise à genoux, expulsion de la classe, mise au coin, etc.). Sont également rangées dans cette catégorie les punitions dites «alternatives», qui consistent à faire exécuter par l’élève des activités jugées utiles pour son établissement (balayer la cour, la classe ou les toilettes).
Dans cette catégorie, «se faire crier dessus» et «être privé de recréation» sont les punitions les plus fréquemment évoquées par les élèves, avec respectivement 25,7% et 22,4%.
Interdits, les châtiments corporels sont toujours pratiqués
L’autre catégorie de punitions porte sur les châtiments corporels, pourtant interdits, mais toujours assez largement pratiqués dans les écoles. Elle comprend divers types de châtiments: être frappé, subir des pinçons, se faire tirer les oreilles ou les cheveux, ou être frappé avec un objet-instrument. Ce dernier type est globalement le plus fréquent, cité par 27,9% des élèves du primaire punis. Là encore, les différences entre filles et garçons sont significatives.
Selon les élèves sondés, les punitions seraient dues, en général, au non-respect des règles de la classe ou de l’école: être en retard, ne pas avoir fait ses devoirs, ne pas apporter ses fournitures scolaires, manger ou mâcher en classe, quitter sa place, aller aux toilettes sans autorisation, bavarder, manquer de concentration, perturber la classe, ne pas respecter son tour ou provoquer des bousculades. Recevoir un avertissement est la punition la plus fréquente, citée par 34,6% des élèves du secondaire punis, suivi de l’envoi d’un mot aux parents, déclaré par 32,4% des élèves punis.
D’autres sanctions dites à caractère «éducatif» sont également pratiquées dans des proportions non négligeables, comme les devoirs supplémentaires, cités par 19,3% des élèves sanctionnés. La copie des lignes, les devoirs collectifs et une retenue qui ont été mentionnés respectivement par 12,1%, 9% et 4,9% des élèves punis.
La punition à l’école, acceptée par les élèves et les parents
Globalement, la majorité des élèves du primaire punis considèrent leurs punitions «très justes» (50,2%) ou «plutôt justes» (26,8%). Ce sont les déclarations de 77% des élèves du primaire. Cependant, 15% d’entre eux les jugent «injustes» et 8% de «plutôt injustes». Ces appréciations varient sensiblement selon le genre: 24,6% des garçons, contre 20,2% des filles, ont exprimé un sentiment défavorable envers les sanctions vécues.
L’acceptation du châtiment à l’école par les parents d’élèves, à la fois conditionnée et justifiée par une supposée efficacité éducative, concerne surtout l’enseignement public plutôt que le privé, et le niveau primaire plutôt que le secondaire.
Les avis des parents, tels que perçus par leurs enfants, semblent tranchés entre une minorité opposée aux punitions, et une majorité qui continue à les légitimer. Ainsi, presque un élève sur deux (49,7%) affirme que ses parents acceptent qu’il soit puni physiquement par les enseignants, contre 24% qui disent que les leurs le refusent, et 26,3% déclarent ne pas connaître l’avis de leurs parents sur le sujet. Ces pourcentages varient selon la nature de l’enseignement: ils passent à 40,2% de parents d’accord avec les punitions physiques dans le privé, pour 52,3% dans le public.
Les auteurs de l’enquête rappellent sur ce point que la question de la punition physique requiert une attention particulière dans toute politique publique dédiée à l’amélioration du climat scolaire et du système éducatif national en général.