Aux écrivains de ma génération, on pose souvent des questions comme «Comment écrire?», «Avez-vous une technique?», «Qu’est-ce qui vous inspire?», etc.
Plus j’avance en âge, plus je suis convaincu qu’il n’y a pas de réponse à ces questions, toutefois légitimes pour un jeune écrivain qui débute. Non, pas de technique, pas d’inspiration. Là, je reprends la réponse que j’attribue à Georges Simenon: «Pas d’inspiration, que de la transpiration».
Je le crois. C’est l’Américain Philip Roth qui disait: «N’attends pas d’être visité par l’Ange de l’inspiration. N’écris pas, tape!»
Unique chose fréquente chez la plupart des romanciers: l’observation. Un écrivain est quelqu’un en alerte, il voit la réalité et enregistre des faits, des incidents, des choses banales ou extraordinaires. C’est ce que Victor Hugo disait: «L’écrivain est témoin de son époque». Observateur et témoin. Deux fonctions nécessaires pour se mettre à table et écrire.
Établir un plan? Là, les méthodes divergent. Certains prévoient tout ce qu’ils vont écrire. Un plan aussi précis que celui d’un architecte. D’autres démarrent l’écriture sans savoir où cela va les mener. Je suis de la seconde catégorie.
Le plaisir vient du fait que je ne sais pas ce que je vais écrire le matin. Je me mets à ma table et j’attends que les mots viennent. Je suis chaque fois surpris et heureux de les voir se précipiter sous la plume ou sur le clavier de mon ordinateur. À une jeune poétesse qui demandait à René Char comment les mots lui viennent, il répondit: «Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et se pressent, les mots font de même».
À chacun sa façon de raconter des histoires. Nous sommes tous des raconteurs d’histoires et le spectre des «Mille et une nuits» est là qui nous observe à son tour. On n’oublie pas que le principe de base de cet ouvrage monumental, écrit par plusieurs personnes anonymes, est: «Raconte-moi une histoire, ou je te tue». Toute nécessité littéraire est là. Écrire pour ne pas mourir, écrire contre la mort, écrire avec le temps, écrire parce qu’on ne peut pas faire autrement. Samuel Beckett à qui on posait la question «Pourquoi écrivez-vous?», il a répondu «Bon qu’à ça!»
Pierre Assouline vient de publier un livre magnifique sur les techniques d’écriture, intitulé «Comment écrire» (éd. Albin Michel). Il y présente les conseils, techniques et secrets des meilleurs écrivains français et étrangers.
Conseils de William Faulkner: «Ne soyez jamais satisfait de ce que vous avez fait. Rêvez et visez plus haut que ce que vous savez pouvoir accomplir… Tentez d’être meilleur que vous-même…»
Ce à quoi répond le mexicain Carlos Fuentes: «Ce qui fait un roman, c’est cette prise de conscience que le monde est plus vaste que nous.»
On se souvient du film «The Shining», de Stanley Kubrick (1980), où Jack Nicholson devient fou parce qu’il n’arrive pas à écrire un seul mot. Ce film, très angoissant, a donné des nuits blanches à des écrivains chevronnés. Il a réussi à taper sur sa machine cette unique phrase : «All work and no play makes Jack a dull boy» («Trop de travail et pas de jeu rendent Jack un garçon ennuyeux»). C’est le début de la folie.
La peur de la page blanche existe. Mais il faut apprendre à la dépasser. Il ne faut pas y penser. Stephen King a lui aussi connu une panne en écrivant «Le Fléau». Il a fait des marches en se demandant ce qu’il doit faire avec ses personnages. Au bout de quelques semaines, comme une lumière qui arrive soudain, il trouva la solution. C’est un travail aussi méticuleux et aussi exigeant que celui d’un diamantaire. Un texte ne doit pas souffrir d’impuretés et de choses qui n’ont rien à voir avec l’histoire.
Michel Tournier, nous apprend Assouline, ignorait tout de la page blanche. Truman Capote, angoissé de nature, la veille après avoir bouclé la dernière phrase d’un paragraphe ou d’un chapitre, écrivait la première de ceux du lendemain. Ainsi, il dormait sans problème.
Jean Genet me disait: «Quand tu écris, pense au lecteur, il faut t’arranger de ne pas le perdre en route; il faut le capturer et ne plus le lâcher…» C’est l’unique conseil littéraire qu’il m’ait donné. J’avoue qu’il m’a beaucoup servi. Je pense tout le temps à celles et ceux qui me liront. Pour les garder, il faut savoir les retenir par un bon style, par une forte intrigue, et se mettre à leur place. Si je m’ennuie, ils s’ennuieront aussi et laisseront tomber le livre.
Faire attention au style, quelque chose de personnel, car, comme disait Victor Hugo, «la forme, c’est le fond qui remonte à la surface». Malheureusement, on lit de moins en moins d’écrivains ayant un style bien à eux.
Céline disait qu’il y a un écrivain qui a un style par siècle! Il pensait à Marcel Proust et à lui-même évidemment. Avoir un style n’est pas à la portée de tout le monde. Mais on passe notre vie à le chercher, à la capter et à se confondre avec lui. Ceci est valable aussi bien pour un écrivain que pour un peintre ou un musicien. Être unique et singulier. Tel est le rêve de tout aspirant à la création.
Le style, c’est une voix. On l’entend quand on lit. Pierre Assouline donne l’exemple de Marguerite Duras: «On la reconnaît aussitôt par son rythme, sa scansion, son lexique, sa syntaxe, et une fois tous ces éléments conjugués, par le son que cela dégage».
Enfin, on apprend à écrire en lisant les classiques, en les relisant, en s’en imprégnant. Lire et relire, et, peut-être, on serait prêt pour se mettre à sa table et commencer à écrire, à imaginer, inventer et construire une histoire, bref, à devenir écrivain, avec un style, une voix.