Du temps que j’habitais en Angleterre, je fus un jour invité à dîner au Garrick Club, à Londres, par un romancier que j’avais rencontré lors d’un débat littéraire et qui souhaitait prolonger la discussion dans un cadre agréable.
Je demandai à mon amphitryon s’il y avait un dress code. «Veste, chemise à col, cravate. No jeans», me répondit-il d’un trait -on lui avait sans doute déjà posé la question, maintes fois.
Le Garrick Club a été fondé en 1831 par un groupe de gentlemen amateurs de théâtre sous le patronage du duc de Sussex. L’idée était d’avoir un endroit bien placé -au cœur du West End de Londres- où gens bien nés, comédiens, hommes raffinés, mécènes, dramaturges et érudits pouvaient se rencontrer dans une ambiance feutrée. À l’origine, une bibliothèque d’ouvrages consacrés aux costumes de théâtre devait y voir le jour -j’ignore ce que ce projet est devenu.
En effet, le Garrick est devenu autre chose, au fil du temps: c’est aujourd’hui le cœur (informel) du pouvoir. C’est là que tous ceux qui comptent dans le Royaume se retrouvent pour bavarder, flatter, persifler, intriguer, ourdir (des complots), tramer (des manigances) et, c’est important, boire du gin ou du whisky. Mon hôte m’assura que la cave du club était la mieux fournie du pays.
Il suffit de consulter la liste des membres du Garrick pour comprendre le rôle crucial qu’il joue -ce secret vient d’être levé par le quotidien The Guardian. Quelle liste! À tout seigneur, tout honneur: le Roi Charles III en fait partie. Mais aussi le patron du MI5 (la sécurité intérieure du Royaume-Uni), le vice-premier ministre, plusieurs ministres, des dizaines de membres de la Chambre des Lords, une douzaine de députés, huit high court juges, les dirigeants des principales firmes de conseil, d’importants hommes d’affaires, etc.
Et le théâtre dans tout ça? Il faut bien faire semblant de respecter la vocation originelle du club: en sont donc membres le patron de la Royal Ballet school et le président du prestigieux English National Opera. Ils font de la figuration.
J’arrive enfin au but de ce billet. Savez-vous qui ne peut pas être membre du Garrick?
Les femmes. Attendez, attendez, je vais mettre des points d’exclamation: les femmes! Toutes les femmes! Interdites de séjour dans le cénacle du pouvoir! Keep out! Go away! No entry!
On est en Angleterre, en 2024.
Pourquoi ai-je pensé aujourd’hui à mon dîner londonien de jadis? Parce que nous sommes, au Maroc, en plein débat sur la révision de la Moudawana. J’espère qu’on ira le plus loin possible dans l’égalité des droits entre hommes et femmes de notre pays; mais en attendant, ne laissons personne débarquer d’outre-Méditerranée en braillant que nous sommes arriérés, sous-développés, rétrogrades, anachroniques, archaïques, attardés, etc.
À ce déluge d’invectives peu amènes, il nous suffira d’opposer un seul mot, un nom, celui d’un acteur fameux d’autrefois et d’un club politique all-male d’aujourd’hui: Garrick!