A l’heure de tant de clivages, ouvrir de larges horizons fédérateurs de développements et de coopération commune résonne comme une voix de sagesse doublée de pragmatisme.
Le discours royal à la Nation, à l’occasion du 48ème anniversaire de la Marche Verte, apporte une bouffée revigorante…
Cap sur l’Atlantique, qui ouvre un «accès complet sur l’Afrique et une fenêtre sur l’espace américain», ajouté à la façade méditerranéenne avec un solide arrimage à l’Europe.
Extrait : «Nous sommes déterminé à entreprendre une mise à niveau nationale du littoral, incluant la façade atlantique du Sahara marocain. Nous sommes également attaché à ce que cet espace géopolitique fasse l’objet d’une structuration de portée africaine. Notre souhait est que la façade atlantique devienne un haut lieu de communion humaine, un pôle d’intégration économique, un foyer de rayonnement continental et international (…)».
Les économistes et autres experts sauront analyser en détail les propositions concrètes et les mécanismes opérationnels présentés par Sa Majesté en matière de développement économique et social de la zone littorale atlantique des régions sahariennes marocaines (prospection offshore, pêche maritime, dessalement de l’eau de mer, énergies renouvelables, économie bleue, tourisme balnéaire et saharien…), autant que la mise à niveau des infrastructures des Etats du Sahel (dont la connexion aux réseaux de transport et de communication…). Sans oublier de soulever la fiabilité du modèle économique marocain permettant de soutenir cette vocation afro-atlantique (notamment avec les grands projets structurants du gazoduc Maroc-Nigéria ou du grand port de Dakhla).
De son côté, la dimension géopolitique, par ses implications profondes (dont celle de pont entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques), n’a pas manqué d’interpeller grandement les instances concernées et les observateurs.
Il faut dire que l’initiative marocaine s’inscrit dans la cohérence d’une vision inclusive et dans la logique de « la rencontre de Rabat » de juin 2022, première réunion ministérielle des États africains ayant l’Atlantique en partage.
Après avoir pris l’initiative de créer un cadre institutionnel regroupant les 23 Etats Africains Atlantiques et soudant autour d’une cohésion de valeurs et d’intérêts, le roi Mohammed VI n’oublie pas les Etats du Sahel.
La proposition consiste à lancer une initiative internationale visant à les désenclaver en leur offrant l’accès à l’Atlantique, partant du principe que la solution aux problèmes et aux difficultés ne peut être «exclusivement sécuritaire ou militaire».
En plus de sa dimension stratégique et de ses enjeux économiques, cette initiative atlantique à dimension africaine revêt une forte portée symbolique et induit d’épouser pleinement notre identité océane.
On a souvent entendu dire que le Maroc tournait le dos à la mer, ce qui n’est pas exact, au vu de la convergence actuelle des ressources humaines et des richesses matérielles et au vu de l’antiquité lointaine des établissements humains et des comptoirs commerciaux qui le parsèment.
L’ère médiévale reste tout aussi intéressante avec de notables centres urbains, tandis que «le domaine saharien atlantique du Maroc constituait un itinéraire plus sûr pour joindre le nord du pays à l’Afrique subsaharienne», lit-on dans l’ouvrage «Histoire du Maroc, Réactualisation et synthèse», présenté et dirigé par le professeur Mohamed Kably.
La navigation atlantique nous offre pour sa part le voyage effectué avant l’année 1270, au-delà du cap Boujdour, par le voyageur Ibn Fatima avec la collaboration des Berbères Goudala, tel que cité par le géographe Ibn Saïd al-Maghribi.
Le même cap (dit Atlas Major dans la Géographie de Ptolémée, par différenciation avec l’Atlas Minor qu’est le Cap Cantin, soit Beddouza) était appelé par les Européens Cap de la peur, ayant longtemps constitué pour eux la limite méridionale du monde à ne pas franchir.
Des légendes y voyaient une sorte de mer des ténèbres peuplée de monstres fabuleux, jusqu’à l’expédition lancée par l’infant de Portugal, Henrique (dit le Navigateur) avec pour mission de dépasser le cap Boujdour, ouvrant la voie à des explorations lointaines dont l’objectif était de «chercher l’or se trouvant au-delà du cap Bojador sur des mers où personne n’avait jamais navigué».
Dans cet espace en mouvement, les contingences de l’histoire ont fait en sorte que la façade océanique soit devenue le lieu par excellence des périls venus d’ailleurs, avec l’offensive européenne brutale dans son aire maritime, puis sur son sol, et ce qui s’ensuit comme tragédies humaines et «commerce de la honte» dans un contexte de suprématie du commerce atlantique sur celui de la Méditerranée, de rivalités entre thalassocraties occidentales et, selon les propos de l’historien portugais Vitorino Magalhaes Godinho, de concurrence de la «caravelle sur la caravane».
Ces périodes de flux et de reflux ont été donc marquées tour à tour par le repli, la confrontation représentée notamment par la guerre de course mais aussi, paradoxalement, une constante diversité des échanges qui ont façonné de part et d’autre les cultures et les civilisations.
Un des grands symboles historiques de cette politique d’ouverture et de changement de transplantation du centre de gravité vers l’Atlantique est le sultan Sidi Mohamed ben Abd-Allah, bâtisseur d’Essaouira, refondateur de Fedala ou de Casablanca, libérateur de Mazagan et signataire de dizaines de traités de commerce et de paix, y compris avec les Etats-Unis d’Amérique dont il est le premier chef d’Etat au monde à reconnaître l’indépendance.
Jamais cependant la centralité atlantique n’a pris une telle dimension ni les perspectives stratégiques pour le continent n’ont été aussi ouvertes sur l’océan en tant que grand espace fédérateur.