C’est à partir du luxueux Club des Pins, lieu hautement privatif de villégiature des vieux généraux algériens, que leur ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, 70 ans, a annoncé hier, mardi 24 août, que son pays avait décidé de rompre, avec «effet immédiat», ses relations diplomatiques avec le Maroc.
Dans une déclaration lue devant quelques médias, au nom du président Abdelmadjid Tebboune et de son gouvernement, Lamamra a reconnu que cette décision était préméditée, et intervenait aussi dans le «prolongement de l’annonce par le Haut conseil de sécurité» de revoir les relations de l’Algérie avec le Maroc, une annonce intervenue une semaine plus tôt, et qui a été précédée par le rappel de l’ambassadeur algérien à Rabat, le 18 juillet dernier.
Pour justifier cette décision, qu’on croyait liée à des faits supposés récents, le ministre algérien des Affaires étrangères est remonté très loin dans le temps. Sa déclaration officielle commence par des griefs contre le Maroc qui dateraient d’une soixantaine d’années: «il est historiquement et objectivement établi que le Royaume du Maroc n’a jamais cessé de mener des actions hostiles, inamicales et malveillantes à l’encontre de notre pays et ce, depuis l’indépendance de l’Algérie».
Et Ramtane Lamamra de rappeler la lourde défaite que les Forces armées royales avaient infligée à l’armée algérienne voici aujourd'hui 58 ans, en 1963, lors de la Guerre des Sables. Qualifié de «guerre d’agression», qui a causé la mort, selon le texte lu par le chef de la diplomatie algérienne, de «850 valeureux martyrs», cet épisode, rappelons-le, est à l’origine de l’éternel complexe des hauts gradés de l’armée algérienne vis-à-vis du Maroc. Surtout que si l’on y ajoute la débâcle algérienne de 1976 à Amgala, il devient inévitable de se rendre compte que les deux derniers chefs d’état-major de l’armée algérienne, Ahmed Gaïd Salah et Saïd Chengriha, actuel homme fort du pays, y ont connu de douloureux revers. Le premier a été contraint de prendre la fuite, abandonnant même les hommes qu’il commandait, et quant au second, il a été fait prisonnier par l’armée marocaine.
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Or, c’est cette même année 1976, il y a 45 longues années, donc, qu’a également choisi de rappeler Ramtane Lamamra pour accuser le Maroc d’avoir pris, à cette lointaine époque, l’initiative de rompre «brutalement» ses relations diplomatiques avec l’Algérie. Bien évidemment, dans son rappel historique, le ministre algérien des Affaires étrangères n’a pas fait la moindre référence aux raisons objectives qui avaient prévalu à cette décision marocaine: celle de ces dizaines de milliers de Marocains expulsés manu militari d’Algérie, le 13 décembre 1975, jour qui coïncidait avec l’Aïd Al Adha. Or comment réagir autrement face à cet acte inhumain, mais aussi face à un pays voisin qui, désormais, armait, finançait, et hébergeait sur son territoire les séparatistes du Polisario qu’il avait même dotés d’une fantomatique république, nommée «RASD»?
Là aussi réside le prétexte fallacieux du régime algérien, qui s’arroge le droit de s’attaquer en permanence à l’intégrité territoriale du Maroc. En revanche, dès qu’un diplomate marocain prononce le seul nom de la Kabylie, l’Algérie en fait toute une marmelade. «Plus grave encore, un plénipotentiaire du Royaume s’est illustré par une dérive particulièrement dangereuse et irresponsable en invoquant un prétendu "droit à l’autodétermination du vaillant peuple kabyle"», se plaint le régime algérien. Pourtant, à l’opposé de l’Algérie qui héberge, finance et arme le Polisario, le Maroc n’abrite pas sur son sol le mouvement pacifique MAK (Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie), dont les responsables vivent paisiblement en France et organisent, régulièrement, à Paris, des rassemblements de plusieurs centaines de personnes pour fustiger la politique raciste de la junte, qui défend cette doctrine abjecte: «zéro Kabyle». Le régime algérien avale ainsi d'énormes couleuvres à chaque rassemblement des militants du MAK à Paris, sans toutefois s'aventurer à aller pérorer contre le gouvernement français.
D’ailleurs si l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc à cause d’un prétendu soutien au «Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie», et au mouvement islamiste «Rachad», pourquoi n’a-t-elle pas rompu ses relations avec les pays d’exil de ces mouvements? N’est-ce pas la France qui accueille les dirigeants du MAK, dont le président Ferhat Mehenni? N’est-ce pas le Royaume-Uni qui vient de décider d’assurer une protection policière rapprochée à l’opposant algérien exilé à Londres Mohamed Larbi Zitout, ancien diplomate et membre dirigeant de Rachad, menacé de mort par les sbires de la junte?
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Plus grave encore, le Maroc est accusé d’être impliqué avec le MAK et Rachad dans les «incendies qui ont ravagé plusieurs wilayas du pays et dans le supplice et l’assassinat abjects de notre compatriote Djamel Bensmail». Or, à voir les réactions des internautes algériens sur les réseaux sociaux, ces actes ne sont ni le fait du MAK ou de Rachad, deux organisations pacifiques et non terroristes, mais «préfabriqués» par le régime algérien lui-même.
Dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen, la Turquie, la Grèce, le Maroc, la France, l'Italie, et jusqu’en Sibérie, en Russie ou encore en Californie, aux Etats-Unis, les feux de forêts ont été particulièrement violents cet été. Pourtant aucun de ces pays n’a crié au complot ou à l’origine criminelle, à l’exception de l’Algérie, qui est devenue la risée du monde entier. Le Maroc a participé, affirme le porte-voix de la junte, au crime abject de Djamel Bensmaïl, livré par la police algérienne à une foule en colère, qui l’a lynché à mort, puis immolé, sous le regard de policiers étonnement passifs, qui n’ont même pas procédé à des tirs de sommation. De quelles preuves dispose le régime algérien pour attribuer au Royaume le meurtre abject d’un militant du Hirak, tué devant un commissariat de police? Dans le cas d'espèce, Ramtane Lamamra s'est bien gardé de fournir les preuves de l’implication du Maroc dans les feux de forêts et le meurtre d’un citoyen algérien.
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En réalité, le laïus de Lamamra pour justifier la décision de rompre les relations diplomatiques avec le Maroc correspond à la feuille de route de l’armée algérienne, qui n’a eu de cesse, ces derniers mois, de mettre en garde contre «la main étrangère », «l’ennemi extérieur»... Comprenez: le Maroc. La revue El Djeich, porte-voix de l’armée qui dirige l’Algérie, a même été remonter jusqu’aux temps immémoriaux de Jugurtha, dans le numéro de juillet 2021, pour dérouler l’historique stupéfiant des prétendus actes hostiles du Maroc contre l’Algérie. Toutefois, hier, au très chic Club des Pins, Ramtane Lamamra a eu la décence de ne pas faire un aussi long voyage dans le temps pour énumérer les sources de l’hostilité marocaine, mais il a tout de même jugé utile de faire un voyage dans le temps jusqu'à l'année 1963, reprenant d’ailleurs presque mot pour mot les éléments de langage de l’armée.
Ramtane Lamamra vient ainsi de signer une prouesse inédite dans les annales de la diplomatie: il prend une décision en 2021 dont les causes remontent à 1963. Les arguments qu’il a déployés font à la fois rire et pleurer. Rire, par leur absurdité, et pleurer, par la haine que nourrit la junte à l’égard du Royaume et des Marocains. Le régime algérien nourrirait donc dans son cœur une rancœur extrêmement ancienne... Le Royaume du Maroc est quant à lui serein, il n’y a aucune place pour la haine dans son récit national.