Quel est aujourd’hui le paysage qu’offre cette Europe dont les représentants au Parlement européen ont fait feu de tout bois pour voter, le 19 janvier, une résolution à l’encontre du Maroc? Une focalisation douteuse et ambigüe.
Le momentum de cette résolution est très singulier. L’Europe traverse sa plus grave crise depuis 1945 avec le conflit entre l’Ukraine, soutenue par l’Occident, et la Russie. Une grande inquiétude remonte des profondeurs de l’Europe.
Tout en s’enfonçant dans des difficultés énergétiques et économiques inextricables, l’Europe a préjugé qu’elle allait provoquer l’effondrement de l’économie russe. Elle s’est plantée. La Russie connaîtra en 2023, selon le FMI, une reprise économique, et même une nette croissance de 2,3% en 2024, supérieure à celle de la zone euro.
Alors que la Russie mobilise de plus en plus de forces, l’Allemagne et d’autres pays ont tergiversé avant de livrer des blindés à l’Ukraine. Quant à la France, inquiète, qui veut à la fois livrer des chars et ne pas être considérée comme partie belligérante, elle hésite encore. Et si elle décide de livrer des chars aux Ukrainiens, elle fera preuve de suivisme, étayant ainsi la perception de son déclassement.
La déflagration est possible. Le monde se dirige «les yeux grands ouverts» vers «une guerre plus large», avertit le secrétaire général de l’ONU.
Dans un climat de guerre et sous la houlette de la France, des eurodéputés se «polarisent» sur le Maroc
Dans ce climat anxiogène, des eurodéputés «droits-de-l’hommiste» (à la carte et à la tête du client!) ont trouvé le temps pour «dénoncer» le manque de liberté de la presse au Maroc tout en s’attaquant d’une manière arrogante à notre système judicaire. Irrésolus face à la Russie, ils semblent résolus face au Maroc.
La majorité qui a voté pour la résolution a été conduite par l’eurodéputé (chef du groupe parlementaire Renew) Stéphane Séjourné, 36 ans, influent conseiller politique du président Emmanuel Macron, ex-PS, ex-proche de Dominique Straus Kahn et compagnon de Gabriel Attal, ministre français délégué aux Comptes publics.
Stéphane Séjourné a réuni un conglomérat idéologiquement bizarroïde comprenant les eurodéputés centristes, libéraux, macroniens (pro CAC 40) et les eurodéputés anticapitalistes de la gauche radicale européenne dont plusieurs spécimens sont des taupes des généraux algériens. La résolution a aussi évoqué l’implication présumée du Maroc dans le Qatargate et dans le serpent de mer politico-médiatique Pegasus. Il faut bien qu’il y ait le feu en la demeure pour que des eurodéputés incompatibles se rejoignent.
Au-delà du règlement de comptes (bilatéral) voulu par la France contre le Maroc, cette résolution avait aussi d’autres objectifs. Elle devait notamment, à l’approche des élections européennes (qui auront lieu en mars 2024), vendre à l’électorat européen les qualités de conscience, d’intégrité morale et de défense intransigeante de certaines valeurs par les eurodéputés, toutes tendances confondues, inquiets pour leurs sièges.
Et surtout montrer qu’ils sont fermes face à ces affaires de lobbying où ils n’ont pas hésité à instrumentaliser, avec une hypocrisie inouïe, le Maroc et le Qatar comme exutoires et boucs émissaires. Alors que le mal est enraciné au Parlement européen et qu’il est très profond.
Le lobbying intra et inter-européen est parfaitement documenté
Au-delà des allégations contre le Maroc et le Qatar, un lobbying massif et colossal ronge, selon de nombreux observateurs, le Parlement européen, depuis très longtemps.
Le «lobbying intra et inter-européen» a atteint des proportions inimaginables. Il a vidé de sa substance la notion de représentation démocratique au sein du Parlement européen. Tous les groupes de pression qu’on peut imaginer sont à Bruxelles. Ils ont pignon sur rue avec leurs structures sous-traitantes à Bruxelles.
Les chiffres sont prodigieux: «Ce sont, à ce jour, 12.489 organisations recensées, soit près de 50.000 personnes à effectuer du lobbying auprès de l’Union européenne, dont environ 24.000 travaillant à temps plein et 1.500 qui ont accès au Parlement», selon des données officielles.
Des références édifiantes sur le net: «Bruxelles, capitale du lobbying à ciel couvert», «L’univers du lobbying européen à Bruxelles», «Petit guide de lobbying dans les arènes de l’Union européenne», «Les Gafam, rois du lobbying à Bruxelles. Lobbying digital», «Dans la roue des lobbyistes à Bruxelles», «Plein feu sur le lobbying en Europe», «À Bruxelles, le lobbying industriel est intense contre le climat», «Qui sont les lobbyistes de Bruxelles?», etc.
Du lobby du vin à celui des cigarettes en passant par les grands groupes pharmaceutiques, les entreprises technologiques, les géants du net, les industriels de l’automobile, les groupes énergétiques, les banques, les agrochimistes, les commerçants du glyphosate, etc. Un lobbying qui fait brasser des milliards d’euros.
A chaque approche d’élections européennes, face à la confiance ébranlée de l’électorat, il y a eu toujours de grands discours enflammés pour que le lobbying soit pratiqué de manière transparente. Comme aux Etats-Unis, qui ont réglementé le lobbying dès 1946 par le Federal Regulation of Lobbying Act qui établit un registre pour tous les acteurs rémunérés pour influencer les membres du Congrès.
En Europe, l’essentiel est de montrer patte blanche durant le temps électoral pour que rien ne change après. Les boucs émissaires sont aujourd’hui le Maroc et le Qatar. Il fallait, pour paraître crédible, s’en prendre à un pays sérieux et non catalogué parmi les pays voyous dont les condamnations répétitives par le Parlement européen n’intéressent plus personne, comme les dictatures algérienne et iranienne.
Ces affaires de lobbying donnent des sueurs froides aux eurodéputés inquietés par les mésaventures de certains de leurs collègues, véritables pieds nickelés un peu moins malins que les autres. Et tout cela surchauffé par une presse devenue, selon l’anthropologue et historien Emmanuel Todd, un «incitateur d’irresponsabilités» et générant un «vertige nihiliste», non seulement autour de la guerre de Russie mais dans toute la vie politique en Europe.
Tout mettre sur le dos d’un pays maghrébin et d’un pays du Golfe flatte tous les fantasmes du rejet et permet de se dédouaner à peu de frais. Il faut bien épargner le gros business en donnant des miettes à l’opinion publique européenne.
Sans oublier évidemment ce lobbying politicard et rustre, mais tellement intéressé, de la gauche radicale et ses 39 députés alignés sur Alger et partageant un même anti-marocanisme primaire. Et aussi cet inénarrable intergroupe parlementaire européen de solidarité avec le peuple sahraoui qui vadrouille souvent du côté des camps de la honte à Tindouf, en all inclusive…
Que reproche-t-on au Maroc?
Pourquoi la France serait-elle contrariée par le Maroc en ces moments où elle a effectivement des soucis? Elle cumule l’angoisse d’une guerre à ses portes, une crise économique avec un déficit abyssal, un rejet en Afrique, une perte d’influence un peu partout dans le monde, ainsi que le stress d’une réforme des retraites incomprise et qui ne passe pas.
Faudrait-il comprendre qu’on demanderait au Maroc de ne pas défendre son unité territoriale? Quand le Maroc demande à la France de clarifier sa position, c’est parce que ce pays faisait partie des initiateurs majeurs de l’acte d’Algésiras en 1906, de sinistre mémoire, qui a morcelé l’Empire chérifien. Le Maroc, après une souveraineté rayonnante de 12 siècles, était devenu un énorme enjeu pour le colonialisme européen. Les 13 pays signataires de l’acte d’Algésiras avaient une parfaite connaissance des frontières authentiques du Maroc.
La France, en tant que témoin et acteur de l’histoire –et qui a créé l’Algérie en confisquant notamment des territoires marocains–, a l’obligation morale de se prononcer et de dire une parole de vérité. Macron a considéré cette demande pleinement légitime comme une intolérable pression.
Faudrait-il comprendre qu’on demanderait aussi au Maroc de ne pas tisser des liens économiques avec ses frères africains en une synergie respectueuse de co-développement? De sacrifier sa prospérité pour servir celle de la France qui, apparemment, n’apprécierait pas ce dynamisme marocain?
Faudrait-il comprendre qu’on reprocherait au Maroc d’avoir diversifié ses amitiés avec les USA, Israël, l’Espagne et l’Allemagne, le Royaume-Uni, etc.? Et surtout de les approfondir, y compris dans leur dimension économique, avec ceux qui le soutiennent pleinement dans son unité territoriale et agissent, dans le respect mutuel, en véritables partenaires?
Il est certain que la France a toujours soutenu la solution d’autonomie proposée par le Maroc, considérée comme crédible et sérieuse, mais cette position est restée statique depuis 2007. Pire, la Macronie donne des signaux inamicaux, voire hostiles. Ainsi cette «affaire» du journaliste franco-marocain de BFM TV Rachid M’Barki, sanctionné pour avoir dit le «Sahara marocain». En quoi cela menace-t-il la France? Les acteurs majeurs de la communauté internationale en sont convaincus.
On dit que ce sont les services algériens qui ont signalé ce «crime» aux autorités françaises. A ce sujet, il y a de quoi être fier car nos services, compétents et efficaces, signalent à la France des choses autrement plus importantes que sonner le tocsin contre un journaliste.
Il faut aussi rappeler que «le Sahara marocain» et «nos provinces du Sud» sont des appels de ralliement et d’amour pour notre terre. Au-delà de la double ou de la triple nationalité, ce sont des marqueurs patriotiques et identitaires qui n’ont rien à voir avec un prétendu monnayage, comme l’ont prétendu des esprits médiocres.
On terminera avec un mot de sagesse d’Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire. En février 2022, lors d’un entretien sur la chaîne France 24, suite aux menaces du Parlement européen de ne plus acheter le cacao ivoirien à cause de la déforestation de certaines zones, le président a été indigné. Il a rappelé à ces Européens «donneurs de leçons qui se soucient maintenant de déforestation, qui ont pollué le monde entier et déréglé le climat» que le caco sera vendu ailleurs si l’Europe n’en veut plus.
Une profonde sagesse africaine à méditer car le monde change et les tutelles ont fait leur temps.