Mohamed Simou, plus connu par le patronyme «Lhaj Simou», a fini par être rattrapé par la justice. La semaine dernière, une magistrate de la chambre des crimes financiers près la cour d’appel de Rabat a décidé le gel de ses avoirs, en attendant l’ouverture de son procès pour «dilapidation de deniers publics» et «détournement de fonds». L’homme est poursuivi, en liberté provisoire, en compagnie de 12 autres personnes, entre entrepreneurs et fonctionnaires de la commune de Ksar El Kébir. Dans cette ville relevant de la province de Larache, le député-maire, qui en est à son deuxième mandat, est une notabilité. À la Chambre des représentants aussi, où tous, élus comme ministres, guettent ses sorties. En un mot comme en mille, Lhaj Simou est une véritable star.
«Weld chaâb» et «weld lefkih»
Mohamed Simou a vu le jour en 1960, dans un petit douar de la commune rurale de Tanakoub, dans la province de Chefchaouen. Le père, fqih de métier, vit de ses connaissances théologiques en tant qu’imam. Ce qui n’empêche pas son fils de militer à gauche, au sein de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), ancêtre de l’actuelle Union socialiste des forces populaires (USFP). C’est d’ailleurs sous ses couleurs qu’il est élu dans la commune, avant d’être contraint à l’exil sans sa famille. Destination: l’Algérie et la ville de Mostaganem, où il reprend ses offices d’imam… avant d’en être expulsé en 1975. L’épisode a manifestement marqué Mohamed Simou qui, aujourd’hui encore, voit rouge à la simple évocation de l’Algérie ou du Polisario.
Après le retour du père, les Simou déménagent à Ksar El Kébir, tentant un nouveau départ. Le fils, qui avait déjà quitté l’école, se lance alors dans le commerce, jetant son dévolu sur le marché de la mercerie, plus précisément la niche du fil de soie, très prisé dans la couture traditionnelle. De ce premier gagne-pain, il a gardé une affection particulière pour les jellabas locales, dont il a quasiment fait son uniforme. Autre signe distinctif de Lhaj Simou: son amour immodéré pour la bissara (purée de fèves). Il pousse sa «vénération» pour ce mets jusqu’à en ramener en quantité au Parlement, proposant de régaler élus et ministres. L’homme se targue même d’en avoir servi à Achraf Hakimi, accueilli en héros après la Coupe du monde au Qatar, et dont la mère est originaire de Ksar El Kébir.
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Si Mohamed Simou se permet ce type de fantaisies, c’est aussi parce qu’il est, aujourd’hui, un homme très riche, à la tête d’une fortune colossale et d’un vaste patrimoine, comptant des dizaines de commerces et de cafés, ainsi qu’une cascade de biens immobiliers.
Le député «mendiant»
Lorsqu’on ose lui reprocher son instruction limitée, proche de l’analphabétisme, Mohamed Simou a pour coutume de rétorquer que la vie lui a appris plus que la meilleure des écoles. Cela ne l’a pas dispensé de passer, en 2000, son certificat des études primaires (CEP), une obligation minimale requise pour diriger un conseil communal.
En revanche, il faut bien reconnaître que l’élu de Ksar El Kébir prend très au sérieux son mandat de député, obtenu aux dernières législatives sous les couleurs du Rassemblement national des indépendants (RNI). Il est en effet l’un des élus les plus assidus, mettant un point d’honneur à ne manquer aucune des séances plénières ou des travaux en commission, sauf cas de force majeure. «Si vous voulez, on peut le considérer comme une sorte de sentinelle du RNI au Parlement», dit de lui, goguenard, un parlementaire du parti de la Colombe.
L’assiduité de Lhaj Simou à la Chambre des représentants n’est pas feinte. Attentif, les oreilles dressées et l’oeil vif, il suit les échanges avec un réel intérêt. Et quand il ne saisit pas le contenu des débats, il n’hésite pas à demander des clarifications à ses confrères sous l’hémicycle, admettant volontiers son statut d’éternel apprenant. Pour autant, l’homme n’a pas sa langue dans sa proche. Les élus du Parti justice et développement (PJD) en savent quelque chose, surtout Abdellah Bouanou et l’ex-député Saïd Khairoune, qui ont eu maille à partir avec le sémillant député RNIste. C’est que, loyal à ses rangs, ce dernier est un grand défenseur du gouvernement, et en particulier de son chef, Aziz Akhannouch, qui l’aurait «débauché» du Mouvement populaire (MP, opposition), le parti où il émargeait précédemment.
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Il faut dire que Mohamed Simou y trouvait aussi son compte. Véritable bulldozer électoral, l’élu de Ksar El Kébir ne voyait guère d’avantages à vivoter dans un parti de l’opposition, risquant ainsi de pénaliser les intérêts de sa commune autant que ceux de ses propres affaires.
D’ailleurs, à Rabat, quand il n’est pas au Parlement, il passe le plus clair de son temps à toquer aux portes des ministères et des établissements publics pour «mendier», comme il le répète souvent, des coups de pouce et autres budgets pour sa circonscription. Avec un certain succès: l’élu a en effet contribué à changer la situation dans sa ville, en y lançant plusieurs projets structurants et autres actions à caractère social. Et qu’importe si, parfois, il se laisse aller à quelques excès, promettant notamment aux habitants de Ksar El Kébir la construction d’une piscine olympique… et d’un lac artificiel.
L’homme des «constantes de la Nation»
Vieux routier de la politique, Mohamed Simou est aussi un virtuose de la transhumance, puisqu’il a pratiquement fait le tour des partis: Istiqlal, PJD, Parti national démocrate (PND), USFP, MP puis RNI… Il a même participé au Mouvement pour tous les démocrates (MTD), qui a débouché sur la création du Parti authenticité et modernité (PAM).
Mais s’il a tendance à changer de chapelle politique comme il change de jellaba, le parlementaire est d’une stabilité exemplaire dans la défense des constantes de la Nation: la monarchie, l’islam et l’intégrité territoriale. En mission à l’étranger, lorsqu’il est en présence d’éléments séparatistes ou de leurs soutiens, il peut aisément aller au-delà des mots pour en arriver aux mains. Il lui est arrivé, en effet, de faire parler ses poings, entre autres, à Malaga en Espagne, et à Bruxelles, en Belgique.
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Homme très pieux sans verser dans le radicalisme, il a tenu à assurer de bonnes études à ses nombreux enfants, aujourd’hui médecins ou ingénieurs. Sa fierté reste aussi sa fille Zineb, qui siège à ses côtés, après avoir été élue au titre de la circonscription régionale du Nord réservée aux femmes. Comme son père, elle s’érige en défenseure de la veuve et de l’orphelin et ses interventions au Parlement ne manquent jamais de panache.
Aujourd’hui, la famille traverse des moments difficiles. Après le gel de ses avoirs, Mohamed Simou ne peut disposer que de ses indemnités de parlementaire et de président de commune. Les habitants de Ksar El Kébir lui témoignent leur solidarité, à lui qui a toujours été très proche des populations. La justice décidera bientôt de son sort après la phase d’instruction qui se déroule actuellement. En attendant, il reste libre de ses mouvements, et toujours apte à offrir, ici et là, une «bissara» à ses amis et connaissances.