L’annonce est tombée en une seule phrase, lâchée par Steve Witkoff, envoyé spécial du président américain Donald Trump pour le Moyen-Orient. C’était au terme d’un entretien d’une heure accordé à la chaîne CBS et à sa journaliste vedette Lesley Stahl, en présence de Jared Kushner, gendre et haut conseiller du président Trump sur le dossier du Moyen-Orient. Si la conversation a porté, pour l’essentiel, sur la situation à Gaza, Witkoff a saisi la toute fin de l’émission pour dégainer une déclaration inattendue: son équipe planche sur un «accord de paix» entre le Maroc et l’Algérie. «Un deal aura lieu d’ici 60 jours», a-t-il ajouté, imperturbable (voir vidéo à la minute 53:00).
On n’en saura pas davantage. Mais à elle seule, cette phrase agit comme le point culminant de la dynamique engagée par Washington au Maghreb, notamment autour du dossier du Sahara. Fervents soutiens du Royaume et de sa souveraineté sur ce territoire, les États-Unis, depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, n’ont cessé de pousser vers un règlement fondé exclusivement sur l’autonomie des provinces du Sud. Preuve à l’appui: le draft de la résolution 2025 du Conseil de sécurité de l’ONU, dont Washington est le pen holder, marque un tournant net. Le plan d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine y est désormais présenté comme «la seule» issue crédible au conflit et «la base la plus réaliste» à toute négociation future.
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L’annonce de Steve Witkoff s’inscrit dans la droite ligne de précédentes prises de position venues du même cercle trumpien, notamment celle de Massad Boulos. Dans une interview diffusée le 16 octobre 2025 sur la chaîne Asharq News, émanation du géant Bloomberg, Massad Boulos, conseiller de Donald Trump pour l’Afrique, n’a pas dit autre chose. Confirmant au passage l’intention de l’administration américaine d’ouvrir un consulat au Sahara marocain durant le mandat du président Trump, le responsable a rappelé la constance du Maroc dans sa politique de main tendue envers son voisin de l’Est (voir vidéo à partir de 22:50).
Citant le dernier discours du Trône, il a mis en avant les propos du roi Mohammed VI rappelant la «disposition constante du Maroc à engager un dialogue franc et responsable, fraternel et sincère» pour surmonter les différends qui entravent le rapprochement entre les deux pays. S’agissant du Sahara, Boulos a également souligné l’approche du Souverain, exprimée à la même occasion: œuvrer, tout en étant ferme dans la défense de l’intégrité territoriale du Royaume, pour une solution «consensuelle», «qui sauve la face à toutes les parties» et «où il n’y aura ni vainqueur ni vaincu».
Fait surprenant: Massad Boulos évoque, sans ambages, une ouverture du côté algérien. «Nous comptons sur la noblesse et la position historique de Sa Majesté le Roi et sur la coopération entre toutes les parties concernées. En premier, les Algériens, avec qui nous entretenons de très bonnes relations. J’étais récemment en visite en Algérie et j’ai eu une excellente rencontre avec son excellence le président, surtout sur ce sujet précis. Ils veulent une solution tranchée et définitive, et ils sont favorables à l’amélioration des relations avec leurs voisins, avec le Maroc, son peuple, son Roi, son gouvernement… Nous sommes plus optimistes que jamais pour que ce sujet trouve inchallah un dénouement positif et durable», a-t-il confié.
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Dans son raisonnement, Massad Boulos fait coïncider deux échéances lourdes de sens: le cinquantenaire du conflit et le compte à rebours menant au prochain vote du Conseil de sécurité, censé sceller définitivement le dossier du Sahara en faveur de la souveraineté marocaine.
En face, à peine quelques signaux faibles laissent entrevoir une résignation algérienne, à peine voilée. Officiellement, et fait rarissime, Alger s’est gardé de tout commentaire sur le contenu du projet de résolution 2025 du Conseil de sécurité. Idem sur la sortie de Boulos ou de Witkoff. Plus troublant encore: le président Abdelmadjid Tebboune a, contre toute attente, soigneusement évité de prononcer les mots Maroc ou Sahara lors de sa dernière séance de bavardage périodique devant ses médias. Vendredi 26 septembre, lors de ce nouvel épisode de monologue présidentiel, diffusé sur la télévision et la radio publiques, Tebboune n’a pas glissé la moindre allusion au voisin de l’Ouest ni au dossier qui hante depuis des décennies la diplomatie algérienne. Un silence inédit, presque assourdissant.
Fallait-il y voir a priori un aveu de fatigue, voire de renoncement? Peut-être. Ou peut-être simplement la conscience tardive que le dossier du Sahara, longtemps brandi comme un totem idéologique, s’est mué en fardeau diplomatique, plombant l’image du régime, isolant le pays sur la scène internationale, et creusant un peu plus encore son propre vide intérieur. Mais ne nous précipitons pas: même le silence, à Alger, a toujours quelque chose de troublant.
L’attitude est, et c’est peu dire, titubante. À peine quelques jours plus tard, le jeudi 9 octobre, depuis le ministère de la Défense nationale, le chef présumé de l’État, fidèle à ses vieux réflexes, a replongé dans sa logorrhée habituelle sur le Maroc et le Sahara. Dans une allocution écrite pour lui et lue devant les hauts gradés de l’armée, il a reconnu que la communauté internationale est en train de plancher sur une solution au conflit, tout en disant espérer que cela se fera dans le cadre de «l’autodétermination», synonyme pour lui de référendum. Un vœu pieux, pour ne pas dire une incantation. Car il sait parfaitement, et ses généraux avec lui, que cette option a été définitivement écartée par l’ONU. Le consensus, désormais quasi total, s’oriente vers un règlement fondé sur le seul plan d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine. Un retour au réel que le discours d’Alger s’obstine à nier, quitte à se parler à lui-même dans le vide diplomatique qu’il a creusé.
Tebboune a ainsi tranquillement rassuré ses «vrais électeurs», autrement dit les caporaux rassemblés pour l’occasion, que l’Algérie «ne se départira jamais de son soutien» aux séparatistes sahraouis, et que tant qu’il vivra, «personne ne leur imposera la solution» à laquelle ils n’ont pas consenti. On notera que même là, il s’est trahi: «Par contre, nous ne serons pas plus sahraouis (Polisario, NDLR) que les Sahraouis», a-t-il lâché. Un contre-sens qui laisse dubitatif.
Depuis, et officiellement, c’est silence radio sur les dernières manœuvres signées par les États-Unis, qui consacrent le plan d’autonomie et prévoient une résolution imminente du conflit provoqué et entretenu par Alger. Curieusement, ce sont les médias proches de la junte, ou certains de ses relais, qui se sont rués tête baissée, fulminant contre le projet de résolution onusien, jugé «recul politique et juridique sans précédent», et éructant leur hostilité à l’action américaine ainsi qu’à l’idée d’une réconciliation Maroc-Algérie, qualifiée «d’extravagante». «Ce discours par trop optimiste sonne davantage comme un coup de communication destiné à sonder Alger, qu’un véritable début de règlement d’une crise enracinée dans des réalités profondes et inchangées», peut-on lire.
Autant dire que l’inconséquence, marque de fabrique du régime, reprend du service, et que la gestion de ce tournant pourtant décisif reste chaotique. Une chose est sûre: aux yeux de Washington, l’issue du conflit sur le Sahara n’a jamais été aussi proche. Et le règlement se fera… avec ou sans l’Algérie.












