Respectueux de l’identité du Maroc, Lyautey nourrissait un aristocratique mépris pour la classe politique française, déplorant que les gens «bien élevés» fussent de moins en moins nombreux à en faire partie. Quant aux diplomates français, il écrivit à leur propos quelques lignes d’une grande cruauté que certains «mauvais esprits» pourraient considérer comme d’une criante actualité:
«C’est une des plus grandes lacunes, hélas! de notre personnel (diplomatique), que de ne plus connaître que rarement de moyen terme entre la gravité morose du parvenu qui craint de compromettre sa dignité, et le débraillé hilare et vulgaire du commis voyageur (…) trop souvent choisi très vilain -je ne sais pas pourquoi-, mal vêtu, ne sachant pas s’imposer ni s’installer, vivant mesquinement (…)».
Toute ressemblance avec aujourd’hui serait naturellement abusive…
Peu de temps avant sa mort, faisant le bilan de son action au Maroc, Lyautey écrivit ces lignes:
«Au fond, si j’ai réussi au Maroc, c’est parce que je suis monarchiste et que je m’y suis trouvé en pays monarchique. Il y avait le Sultan, dont je n’ai jamais cessé de respecter et de soutenir l’autorité. J’étais religieux et le Maroc est un pays religieux (…)».
La gauche coloniale laïque et républicaine ne pardonna pas à Lyautey sa religiosité et sa politique de soutien au pouvoir du Sultan, descendant du Prophète. Elle reprocha à un Lyautey respectueux des lieux de culte d’avoir interdit aux non musulmans l’accès aux mosquées, d’avoir soutenu financièrement la restauration de la Quaraouiyine, d’avoir appuyé l’Islam officiel et les confréries religieuses.
La gauche coloniale qui, à l’exemple de l’Algérie, exigeait la dépossession terrienne des Marocains à travers une modification du régime des terres domaniales, ne cessa à aucun moment de combattre Lyautey qui s’y opposait.
En 1924, la victoire électorale du Cartel des gauches signa donc la fin de l’ère Lyautey. Se réalisa alors sa prophétie faite quatre ans auparavant:
«Ils n’attendent que mon départ pour algérianiser le Maroc, déposséder l’indigène. Ils y sont aidés par les socialistes. La doctrine du protectorat, si intelligente, si souple, si féconde, si nuancée, dépasse absolument la portée de ces cerveaux primaires (…). Cela rend la tâche très décourageante, car j’ai la sensation très nette que l’essentiel de mon œuvre s’écroulera avec moi et, malheureusement, c’est également la sensation des indigènes notables, à commencer par le Sultan». (Lettre à Barrucand, 19 août 1918).
Le prétexte de l’éviction de Lyautey fut la guerre du Rif. Lyautey voulait en effet ménager Abd El-Krim, dont il connaissait la valeur, qu’il estimait, et en qui il voyait le futur caïd du Rif dans l’acceptation du pouvoir du Sultan. Or, tout au contraire, toujours fidèle à sa brutale politique coloniale, la gauche française désormais au pouvoir avait décidé d’écraser Abd El-Krim.
Après avoir bloqué son offensive en lui fermant la route de Fès, Lyautey ne poursuivit pas son avantage militaire, voulant, après avoir montré sa force, ouvrir avec Abd El-Krim la phase de la négociation. Une négociation main tendue et respectueuse entre adversaires valeureux. Or, Paris, qui ne l’entendait pas ainsi, retira à Lyautey sa responsabilité militaire, passa des accords avec l’Espagne en vue d’une offensive conjointe, et nomma le maréchal Pétain commandant en chef avec les pleins pouvoirs.
Le 24 septembre 1925, après avoir mis ses affaires en ordre, Lyautey écrivit alors sa lettre de démission. La gauche française et l’Espagne de Primo de Rivera eurent désormais les mains libres pour lancer 400.000 hommes à l’assaut du Rif, l’usage d’armes chimiques y provoquant une hécatombe dans la population civile. La méthode Lyautey et sa «parcelle d’amour» étaient bien oubliées par l’universalisme républicain…
Lyautey mourut le 27 juillet 1934, âgé de 79 ans, quinze jours après avoir reçu chez lui, la visite du Sultan Mohamed Ben Youssef. Deux semaines plus tard, alors qu’il était à Marseille dans l’attente de s’embarquer à destination du Maroc, ce dernier apprit la mort du maréchal. Aussitôt, il annula son départ pour retourner en Lorraine afin de s’y incliner devant la dépouille de ce grand serviteur du Maroc.
Hubert Lyautey repose aujourd’hui aux Invalides à Paris, dans un tombeau sur lequel est gravée une épitaphe en arabe: «Plus je vis au Maroc, plus je suis persuadé de la grandeur de ce Pays».
Dans un premier temps, Lyautey avait, selon ses volontés, été inhumé à Rabat, son tombeau y étant dominé par une épitaphe en français et en arabe:
«Ici repose Louis Hubert Lyautey, qui fut le premier Résident général du Maroc de 1912 à 1925. Décédé dans la foi catholique dont il reçut en pleine foi les derniers sacrements. Profondément respectueux des traditions ancestrales et de la religion gardées et pratiquées par les habitants auprès desquels il a voulu reposer, en cette terre qu’il a tant aimée. Dieu ait son âme dans la vie éternelle».