C’est une farce d’un nouveau genre, entre dramatique et burlesque, entre dystopie et absurdisme.
Acte 1.
La Renaissance sportive de Berkane débarque un beau matin à l’aéroport d’Alger en provenance d’Oujda pour disputer le match aller de la demi-finale de la Coupe de la Confédération africaine de football contre le tenant du titre, le club de l’Union sportive de la Médina d’Alger.
Le vol était assuré par la compagnie espagnole Iberia afin de contourner les restrictions engendrées par la fermeture de l’espace aérien algérien à tous les avions marocains, induisant un trajet Maroc-Tunisie sur un vol RAM, puis un Tunisie-Algérie sur un vol de la compagnie tunisienne; ce que certains voisins farceurs appellent délicatement «faire le rond-point».
Comme dans l’étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, la communication officielle algérienne exhibe le semblant de bon accueil réservé à la délégation marocaine au moyen d’un bouquet de roses écarlates enrobées dans un papier de soie couleur bonbon, avant de dévoiler le pot aux roses.
Président du club, joueurs et staff technique marocains, tous sont interdits de quitter les lieux avec leurs maillots officiels qui ont été confisqués par les agents de la douane.
Le blocage allait durer plus de dix heures à l’aéroport dont le tout nouveau directeur n’est autre que le très ancien colonel, improvisé animateur à la télévision algérienne, sinistrement mémorable pour son appel aux séparatistes du Polisario, depuis la chaîne algérienne El Hayat, à commettre des opérations terroristes dans les villes marocaines.
Pour dire que malgré l’illusion théâtrale, nous ne sommes plus dans le sport, submergé, comme tout le reste, par la mainmise du régime militaire.
Les vidéos filtrent parcimonieusement ce qui ressemble à un huis clos, avec pour cadre unique l’aéroport dans lequel les protagonistes prient, mangent, effectuent leurs exercices ou tentent de fermer l’œil sur un siège en plastique ou à même le sol, avant d’être rejoints par des gradés de la police.
- «Vous êtes refoulés!», tonne plusieurs fois l’un d’entre eux en bon français.
- «Vous n’êtes pas les bienvenus sur le sol algérien!», renchérit l’autre au milieu de différents noms d’oiseaux provenant de la mêlée.
Pour expliquer les raisons de ce traitement, ont été invoquées l’intrusion de la politique dans le sport (dixit ceux-là mêmes qui ont invité le petit-fils de Mandela à faire un discours séparatiste anti-Maroc en pleine cérémonie d’ouverture du CHAN 2023), et, plusieurs fois, contre toute logique encore, dans des soliloques enflammés, la violation de la souveraineté nationale algérienne.
Encore plus fou, Abdelkader Bengrina, président du parti politique El Bina, a poussé le non-sens jusqu’à établir un lien avec la question palestinienne.
Nous sommes en plein absurde tant les paroles et les événements heurtent la logique et tant le procès devient kafkaïen pour une délégation privée pendant des heures de liberté de mouvement «sans rien avoir fait de mal» que de porter des maillots ornés de la carte de son propre pays.
Est-ce que ce pays comprend des territoires revendiqués par l’Algérie comme étant les siens? Non!
N’est-ce pas la même carte que l’Algérie a dû publier durant le Sommet arabe, en s’excusant de surcroît pour celle précédemment tronquée avec pour justification une «erreur de son service d’iconographie»? Si!
Alors, en quoi est-ce une affaire de souveraineté nationale pour l’Algérie, qui prétend ne pas être partie prenante dans le conflit du Sahara, tout en refusant de participer au processus des tables rondes auxquelles l’invite l’ONU?
Si le Polisario est d’ailleurs absent de la scène (comme il l’est de la CAF!), le lendemain soir, c’est Ferhat Mehenni, président du MAK, qui allait proclamer, devant le siège de l’ONU à New York, l’indépendance de la Kabylie.
Il vient nous rappeler tout à la fois, la logique du fameux adage selon laquelle «Quiconque creuse un trou pour son frère finit par y tomber lui-même»; l’incohérence d’un soutien du régime algérien au droit à l’autodétermination chez les uns alors qu’il est refusé à d’autres, tout en nous incitant à penser que ce cinéma rocambolesque ne visait probablement qu’à faire diversion pour occuper l’espace médiatique.
Un maillot comme écran de fumée…
Acte 2.
Alors que les joueurs rejoignent leur l’hôtel suite à l’intervention de la Confédération africaine de football, les juristes entrent en scène.
Est-ce que le maillot viole un quelconque règlement? Non!
Rien que dans le football, et pour rester juste en Afrique, plusieurs équipes ont choisi de porter un maillot floqué de la carte de leur pays, telles celles de la Mauritanie ou la Côte d’Ivoire, notamment lors du dernier CAN, tandis que la RS Berkane joue depuis le début du tournoi avec ce maillot homologué dans les règles de l’art.
Saisi sur la question, le Comité des compétitions interclubs a d’ailleurs ordonné la libération desdits équipements, conformes aux statuts et aux réglementations, avant de rejeter le recours en appel déposé par les autorités algériennes, plus entêtées que jamais.
On croirait entendre Père Ubu: «Et d’abord, qui êtes-vous pour donner des ordres?»
Les douanes algériennes refusent de restituer les tenues.
Pour les Marocains, il est inconcevable de jouer sans ce maillot officiel.
L’équation semble insoluble, à moins d’un dénouement spectaculaire.
Le suspense atteint son paroxysme…
Acte 3.
Changement de décor. Nous sommes au stade, juste quelques minutes avant le coup d’envoi du match.
Les joueurs marocains, qui ont depuis quitté l’hôtel, découvrent des maillots alternatifs dans le vestiaire.
Le président de la Fédération algérienne de football, Walid Sadi, annonce la mise à disposition de l’équipe marocaine de «maillots de haute qualité», dépourvus de la carte du Maroc mais munis d’une imitation du logo du sponsor.
Deus ex machina! Un maillot contrefait surgi d’un atelier!
Nous ne sommes plus à une folie ou à une illégalité près! Des violations à la pelle, depuis les règlements de la CAF et de la FIFA jusqu’aux contrats en vigueur signés entre les sponsors et le club.
Les Marocains, qui ont toutes les raisons de refuser ce maillot de contrefaçon, se dirigent vers le terrain avec leur survêtement.
Empêchés d’accéder à la pelouse comme on le voit clairement dans les vidéos, bloqués qu’ils étaient par un rang d’agents de sécurité, ils finissent plus tard par rebrousser chemin.
Encore une première: l’équipe algérienne avait rejoint seule le terrain sans l’équipe adverse et sans le staff arbitral.
Dans les tribunes, la foule stimulée par l’effet cathartique du spectacle improbable, agite des drapeaux séparatistes des Polisariens imprimés en format A4 et libère ses passions et frustrations en chœur.
Comme lors du Chan, il est encore question de Marocain, d’animal et de banane, en plus d’autres joyeusetés visant leur «bête noire», le président de la Fédération royale marocaine de football.
Le match entre la RS Berkane et l’USM Alger n’aura pas lieu.
Epilogue.
Quelques jours après ces péripéties, les décisions officielles sont tout naturellement tombées.
Dans l’art de se ramasser des vestes, le régime algérien a préféré, encore une fois, devenir la risée du monde et sacrifier, un à un, les intérêts du pays; là, en l’occurrence, ceux d’une de ses plus grandes équipes.
D’un côté, l’équipementier sportif du club marocain annonce son intention de déposer une plainte auprès de la commission éthique de la FIFA, suite à la contrefaçon de ses maillots; de l’autre, la Confédération africaine de football sanctionnait, la veille, le Club USMA par un forfait de 0-3, tout en déclarant soumettre le cas au jury disciplinaire pour d’éventuelles sanctions additionnelles, ainsi que le maintien du match retour au Stade municipal de Berkane.
En attendant la suite du feuilleton qui promet d’être ubuesque, je tire ma révérence et conclus comme de coutume pour la circonstance: «Valete et plaudite!».
Portez-vous bien et applaudissez!