Il est parfois consternant de constater que dans un continent africain qui aspire à s’affranchir pour de bon du poids du passé et à avancer, certains continuent encore de servir la même vieille soupe, enrobée de slogans surannés, pétris de rancœur et, surtout, ne servant en rien ni l’avenir de l’Afrique, ni la volonté de ses pays d’aller de l’avant.
Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, vient d’en apporter une nouvelle preuve en recevant en grande pompe, ce mardi 18 octobre 2022 à Pretoria, une délégation de séparatistes, menée par le chef du Polisario, Brahim Ghali. Une délégation arrivée, cette fois encore, à bord d’un avion généreusement affrété par la présidence algérienne. Le tout, à quelques jours de l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une nouvelle résolution sur le Sahara, prévue le 27 octobre prochain. Et tout juste quelques semaines après le changement déterminant du Kenya sur le dossier du Sahara.
Dans un discours pour le moins anachronique, Cyril Ramaphosa a non seulement persisté dans le soutien «sans état d’âme» de son pays à la thèse séparatiste, mais il a également défendu sa position en usant d’un logiciel que peu de pays encore, l’Algérie notamment, continuent de faire valoir. Qu’est-ce qu’on y apprend? Que la lutte de l'Afrique du Sud contre le régime d'apartheid et les velléités séparatistes d’un groupe de mercenaires à la solde de la junte algérienne ne font qu’un. Que le parachèvement par un pays comme le Maroc de son intégrité territoriale est, en fait, une «occupation illégale du Sahara occidental». Que la position de l'Afrique du Sud sur le Sahara reste inchangée, ce pays reconnaissant la pseudo-Rasd. Que le pays de Nelson Mandela entend mobiliser un soutien régional, continental et international en sa faveur. Et que l’affaire «est un sujet de préoccupation tant pour l'Afrique que pour la communauté internationale». Sérieusement?
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Pour Ramaphosa, et cela rappelle curieusement une position désormais galvaudée par son allié de circonstance algérien, le règlement de ce dossier passe par des négociations directes entre le Maroc et le Polisario et un retour aux conditions ayant prévalu lors du cessez-le-feu, entendez l’option impossible du référendum d’auto-détermination. Bien entendu, tout cela est parfaitement légitime et partagé par l’Organisation des Nations unies, qui veille sur la question.
On l’aura compris, tant dans le discours que dans l’attitude et la posture le soutenant, Cyril Ramaphosa ne nous apprend rien, si ce n’est qu’on ne peut vraiment pas faire du neuf avec du vieux et que certains savent se fermer tant au sens de l’histoire que des évolutions majeures qu’a connues le dossier du Sahara. En tenant un tel discours, le président sud-africain apporte juste la preuve que des chapitres entiers en la matière lui échappent totalement. A commencer par le fait que l’affaire est entre les mains exclusives de l’ONU. Laquelle ONU stipule désormais clairement que l’option du référendum est enterrée et qu’elle ne figure plus dans ses rapports, ni dans les résolutions du Conseil de sécurité, et que si dialogue il y a, il devra réunir «toutes» les parties prenantes au conflit, incluant (en plus du Maroc et du Polisario) la Mauritanie, mais aussi et surtout le principal protagoniste de ce conflit: l’Algérie.
Comme otage d’une logique qui a vécu, Cyril Ramaphosa semble s’être fait l’économie d’une fiche récapitulative du dernier rapport d’Antonio Guterres sur le Sahara, dans lequel le Secrétaire général de l’ONU a appelé à la reprise du processus des tables rondes établies par les résolutions du Conseil depuis 2018, renouvelées chaque année depuis, avec la participation de «tous les concernés». Un rappel à l’ordre direct à l’Algérie qui refuse de reprendre sa place autour des tables rondes et la preuve que le «dialogue direct» dont parle le président sud-africain ne mène strictement à rien du moment que les milices du Polisario sont une marionnette entre les mains de la junte algérienne.
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En évoquant les droits du «peuple sahraoui», Ramaphosa oublie le véritable drame humain que nourrit le régime algérien, coupable d’une situation humanitaire extrêmement grave sur son propre territoire. A Tindouf, où se concentrent les Sahraouis séquestrés, le rapport de Guterres note des tendances alarmantes de malnutrition et des réductions de plus de 80% des rations alimentaires, alertant sur le fait que «les réfugiés étaient exposés à un risque grave d’insécurité alimentaire et de malnutrition». Mais cela, cette réalité d’aujourd’hui, Cyril Ramaphosa n’en a que faire. Comme il passe outre l’obstruction par son invité, le Polisario, du travail de la Minurso, dénoncée par le même Guterres qui somme «vivement le Front Polisario (de) lever toutes les restrictions à la libre circulation des observateurs militaires, des convois terrestres, des moyens aériens et du personnel de la Minurso à l'est du mur». Une condition sine qua non au maintien de la force de paix dans une zone (Tindouf) ayant déjà qualité de havre pour les trafiquants et les groupes terroristes en tous genres.
Ramaphosa le sait-il? Rien n’est moins sûr, lui qui rame clairement à contre-courant et dont le parti jadis glorifié, l’ANC (Congrès national africain), englue tout un pays dans une idéologie datant de la guerre froide et privilégie les slogans à une réalité politique qui sert (vraiment) les intérêts du continent. En agissant de la sorte, la présidence sud-africaine ne fait qu’insulter l’avenir et mettre dans l’embarras certains des fleurons économiques de son pays présents au Maroc. La réaction à la visite de Brahim Ghali de l’assureur sud-africain Sanlam (qui a racheté le marocain Saham) est parlante. Dans un communiqué, l’opérateur prend ses distances vis-à-vis de cette décision, renouvelle sa confiance au Maroc et se dit «politiquement neutre». Une gêne dont tout le continent se passerait volontiers.