Le Sahel, Lyautey et l’intégrité territoriale du Maroc: histoire de la ligne fictive de Niamey

Jillali El Adnani.

Jillali El Adnani.

ChroniqueÀ l’heure où des projets terroristes menacent la stabilité du Maroc, l’histoire secrète du Sahel se révèle à travers une frontière énigmatique. Entre la ligne fictive de Niamey et l’expansion de la frontière algérienne vers l’Atlantique, se dessinent des tensions et intrigues qui perdurent depuis près de deux siècles. Derrière une géopolitique moderne se cache l’héritage d’une ligne tracée dans un bureau militaire à Niamey. Le passé géopolitique du Sahel refait surface et voici son histoire.

Le 23/02/2025 à 11h07

Les projets terroristes qui ont failli secouer le Maroc ces derniers jours méritent qu’on revienne sur la région du Sahel, à travers la ligne fictive dite de Niamey (1905-1909) et, surtout, à partir de la frontière algérienne qui n’a cessé d’avancer vers l’Atlantique entre 1845 et 1962. Ces frontières, et surtout les régions sahariennes amputées du territoire marocain, sont liées, tant sur le plan ethnique qu’économique, au Maroc. Cependant, de 1845 à nos jours, le croisement de la ligne de Niamey et de la frontière algéro-marocaine, au sud de Tindouf, est la source de toutes les tensions, intrigues, séparatismes et trafics en tout genre. Notre objectif est de démontrer comment et pourquoi une ligne tracée dans un bureau militaire à Niamey a trouvé son prolongement au sud de Tindouf afin de déboucher sur l’Oued Noun sur l’Atlantique.

Avant la ligne de Niamey 1905-1909: Tindouf et la Saoura étaient marocains

Cette carte montre que les premiers tracés qui furent ceux de 1902 à 1905 visaient les mines de sel et l’organisation de l’Azalaï, caravane du sel qui fournit cette denrée rare à toute l’Afrique noire. La ligne fictive avait deux possibilités comme le montre la carte: le premier est un tracé qui se dirige vers le Tafilalt et le second qui vise le Cap Oued Noun. L’objectif fut de couper toute liaison entre le Maroc et l’Afrique occidentale.

Plus tard, la ligne de Niamey adoptée en 1905, 1909 et 1911 servira surtout la jonction entre la Colonie Algérie et celle de l’Afrique occidentale. Cette même frontière contre la légalité du traité international, signé entre le Maroc et la France en 1901 à Paris, servira la préservation des richesses minières comme c’est le cas de la mine de fer de Gara Djebilet.

Le général Lyautey a fait une déclaration sur cette ligne allant jusqu’à l’Oued Noun et l’a rejetée comme le montre la note de service qui lui avait été destinée en 1924. Le document ci-dessous est un rejet des tracés de la carte:

La ligne de Niamey : ça servait à quoi !

Cette ligne qui consistait en 1905-1909 à contrôler les Touarègues et les armes qui circuleraient entre l’Algérie et le Niger allait, lorsque la France coloniale a décidé d’annexer des territoires marocains à sa province algérienne, devenir une ligne spectaculaire de partage (notre conflit aujourd’hui avec l’Algérie) et remonter en direction de l’Oued Noun et englober ainsi les territoires marocains. Hormis le traité international de 1901-1902 signé entre le Maroc et la France et qui reconnait une frontière au Maroc depuis Igli jusqu’à l’Afrique de l’Ouest, tous les traités et conventions français n’ont pas concerné le Maroc comme l’affirme en 1924, le maréchal Lyautey au président du Conseil: «La convention de Niamey, à laquelle fait allusion monsieur Maginot, complète un accord de principe du 7 juin 1905, qui est un simple arrangement entre les ministères de l’Intérieur et les Colonies, en vue de fixer la limite séparative des Zones d’influences respectives de l’Algérie et de l’Afrique-Occidentale française. Ces accords sont de simples compromis entre deux colonies françaises, qui ne peuvent modifier la délimitation du Maroc, qui n’y a jamais été partie». Voici le document:

Cette déclaration importante montre comment par un simple compromis, la France a imposé une frontière tracée pour mettre fin aux trafics d’armes parmi les tribus touarègues, allait servir de ligne qui porte un préjudice à l’intégrité territoriale du Maroc et à sa frontière avec l’Afrique-Occidentale française (AOF), reconnue par l’Acte d’Algésiras et aussi par le traité franco-allemand du 4 novembre 1911.

Quelle leçon d’histoire peut-on tirer d’une ligne frontière devenue poreuse pour des trafics en tout genre? Cette frontière ou plutôt la non-frontière a une opportunité pour convertir les tensions et les guerres en un partenariat stratégique grâce à la proposition marocaine voulue par Sa Majesté de désenclaver la région du Sahel. La ligne de frontière risque de se transformer en horizon pour une coopération Sud-Sud et aussi Est-Ouest.

Histoire d’une frontière fictive

Un retour sur la ligne de Niamey adoptée en 1905 puis le 20 juin 1909, mais entériné par Aristide Briand (1862-1932), le président du Conseil le 16 août 1911 n’est qu’une ligne fictive si on croit le droit international évoqué par le général Lyautey, alors résident général du Maroc sous le Protectorat, pour faire face à cette annexion territoriale dont a été victime le Maroc entre 1901 et 1924. Cette ligne allait spolier le territoire marocain (le département des Oasis plus précisément, à savoir Touat, Gourara, etc.) dont la marocanité est attestée par les historiens. Cette ligne conventionnelle n’est pas un traité international, puisqu’elle fut tracée dans un bureau à Niamey pour des officiers français. Cette convention sera retenue officiellement et signée depuis Ain Saleh, par le colonel Laperrine et depuis Niamey, par Ronget. Ce tracé fera l’objet d’une convention qui fut signé en 1905 par le ministre des colonies, Etienne Clémentel, et par le ministre de l’Intérieur, Eugène Etienne, représentant les départements d’Algérie et ancien député d’Oran.

Eugène Etienne, le chef de file du projet appelant à une annexion de territoires marocains au profit de l’Algérie depuis 1898, voit son projet se réaliser. La ligne de Niamey de 1905 et surtout la ligne de 1909 seront une revanche pour le parti colonial pour coloniser le Maroc depuis le Sud et donc depuis l’Afrique occidentale. Si la ligne de Niamey de 1905 vise la délimitation des frontières entre l’Algérie et le Niger, celle de 1909 sera une ligne de délimitation qui concernera la frontière avec le Mali, le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie. Ce traité sera signé par le colonel Laperrine, commandant militaire du Territoire des Oasis et le lieutenant-colonel Venel, commandant du Territoire du Niger, le 20 juin 1909 à Niamey.

Ainsi, on pourrait constater que la ligne Tarfaya, Tindouf, Touat qu’avait imposée le gouverneur général Jules Cambon depuis 1897, ne pourrait être réelle suite aux partages territoriaux avec l’Espagne. Seule, la ligne de Niamey de 1909 pourrait mettre fin à toute présence marocaine au sud de Tindouf et surtout en parallèle avec le Touat. Mais cette ligne de Niamey devenue réelle après les indépendances est restée effectivement fictive jusqu’en 1955 puisque le général Lyautey a toujours défendu une frontière du Maroc avec l’AOF et que le Commandement des confins d’Agadir administrait jusqu’en 1955 une partie des territoires sahariens sans prendre en compte la ligne de Niamey.

La ligne d’une annexion réelle

La ligne de Niamey favorisera donc l’annexion de la Saoura, la région de Tindouf et de Erg Cheche alors que cette ligne fut tracée à l’origine pour la poursuite des rezzous entre l’Algérie et le Niger. On peut lire dans la convention de Niamey ce qui suit: «Le principe admis est que tout porteur d’une arme à feu doit être muni d’un port d’arme délivré par l’autorité de son territoire d’origine. Tout individu rencontré sur l’un ou l’autre Territoire sans port d’arme, aura son arme confisquée… Les Campements Touaregs du Territoire Algérien, actuellement sur le Territoire du Niger, devront tout d’abord évacuer ce Territoire. Cette mesure est imposée afin de leur faire comprendre l’incorrection de leur conduite à l’égard des officiers des deux Territoires». Comment a-t-on pu impliquer le Maroc et son intégrité territoriale à la suite d’attaques armées des Touarègues et tracer une ligne qui annexe d’une manière définitive le Sahara oriental au profit de l’Algérie? Sachant que le département de la Saoura fut dirigé au moment même de la signature de la ligne en 1905 et ensuite en 1909, par les anciens Pachas et Caïds ayant servi le Makhzen marocain depuis plusieurs siècles.

Une ligne fictive devenue géostratégique puis obsolète : retour à la mine Gara Djebilet

La carte très secrète réalisée en 1956 pour négocier une zone franche menant à l’Atlantique prouve que la ligne Trinquet de 1938 reconnait au moins le plateau de Kem-Kem, Merkala, Tindouf et Tinfouchy comme marocains. Cette carte en plus du rapport secret établi pour les membres de la commission française, confidentiel défense et mis à jour en 1966, suite à la guerre des sables et la question des armes massives procurées par l’Algérie tout au long de la frontière algéro-marocaine. Ce rapport révèle que la ligne de Niamey qui a servi depuis 1950 à la préservation de la mine de fer Gara Djebilet au profit de la France, n’a plus cette importance sans un débouché Atlantique.

La carte fut établie à la suite de la récupération du Maroc de la zone de Tarfaya en 1958 et le projet de l’exploitation commune du fer de Gara Djebilet proposé au Maroc contre son adhésion à l’Organisation commune des régions sahariennes ne fut qu’un leurre puisque ce document classé «Très secret» dévoile la réalité du minerai:

«Le Minerai de Fer à Gara Djebilet au Sud Est de Tindouf. Ce gisement est à forte teneur en phosphore et ne semble devoir être intéressant pour l’Europe qu’après l’épuisement des gisements de Mauritanie» («Traités relatifs à la période allant de 1909 à 1966, Les Confins algéro-marocains». Annexe II, A, ANOM, Aix-en-Provence, Fonds ministériels, AFFPOL/2321). Ce document et tant d’autres confirment ce constat.

Mais la rédaction de ce rapport coïncide avec cette course frénétique vers l’armement par l’Algérie qui annonce depuis 1966 la possibilité d’une guerre avec le Maroc au sujet du Rio de Oro. Mais les rédacteurs n’ont pas oublié de reconnaitre le caractère obsolète de la ligne de frontière puisque les régions de «Bechar et Tindouf sont ethniquement marocaines».

Le caractère fictif de la ligne de Niamey ne fait pas le poids devant le traité international de 1901 et 1902 qui reconnait la marocanité de Knadsa, Beni Ounif et la zone de l’Oued Guir jusqu’au Sud.

Le rapport secret reconnait comme l’avait fait le général Lyautey en 1924 que: «Se basant sur le protocole de 1901 et sur les conventions franco-espagnoles, certaines cartes marocaines (comprendre établies par la France), éditées de 1935 à 1951, fixent comme frontière une ligne droite allant d’Igli au point d’intersection du méridien 11° Ouest de Paris et du parallèle 27°40 de latitude Nord». C’est sur cette ligne d’Igli que la frontière orientale du Maroc doit rejoindre l’Afrique occidentale.

On l’a dit, l’axe Nord-Sud a, toujours, rempli un rôle crucial dans les échanges sociaux, commerciaux et politiques entre le Maroc, les régions du Sahara et de l’Afrique subsaharienne. Sans discontinuer, il a été façonné par les routes empruntées par les caravanes, par les explorateurs et par la colonisation elle-même. Les archives des autorités coloniales le reconnaissent, depuis le temps des explorations jusqu’à l’indépendance du Maroc. La ligne de Niamey depuis son adoption n’a cessé de soulever les troubles dans la région du Sahel et devait constituer un lieu de passage vers l’océan Atlantique.

Par Jillali El Adnani
Le 23/02/2025 à 11h07

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