Le cinquième congrès du Parti authenticité et modernité (PAM) s’est tenu les 9 et 10 février courant à Bouznika, avec plus de 3.000 participants. Le secrétaire général sortant, Abdellatif Ouahbi, n’a pas sollicité un nouveau mandat. C’est une présidence collégiale de trois membres qui se voit désormais confier la direction du parti, à savoir Fatima-Zahra El Mansouri, présidente du Conseil national et ministre, Mohamed Mehdi Bensaïd, membre du bureau politique lui aussi membre du gouvernement, et Salaheddine Aboulghali, député de Médiouna (Casablanca).
Des assises qui nourrissent, il faut bien le dire, bien des interrogations. La première d’entre elles regarde le bilan du mandat de quatre ans de Abdellatif Ouahbi. Le rapport moral présenté n’est pas d’une grande pertinence en la matière: tant s’en faut. Dans quel état se trouve ce parti en ce début 2024? Il a été rejeté dans l’opposition durant douze ans (2009-2021) par trois cabinets successifs (Abbas El Fassi puis les PJD Abdelilah Benkirane et Saâd Eddine El Othmani); il n’est devenu un parti gouvernemental qu’en octobre 2021 comme allié -avec le Parti de l’Istiqlal- de Aziz Akhannouch, président du RNI, à la tête du nouvel exécutif. Sur le plan arithmétique, pourrait-on dire, il a fait sa place dans la représentation électorale: 12% des voix et 47 sièges parlementaires en 2011, puis 102 sièges en 2015 et 87 en 2021. Aux dernières élections du 8 septembre 2021, il a remporté 5.106 sièges communaux et 143 autres régionaux, décrochant la présidence de quatre régions (Rabat-Salé-Kénitra, Marrakech-Safi, Béni Mellal-Khénifra et l’Oriental).
Dans le cabinet actuel, il s’est vu attribuer pas moins de sept départements ministériels. Mais par-delà ces indications positives à un premier niveau d’analyse, quelle est bien l’identité de cette formation? C’est tout de même assez singulier que le responsable sortant n’ait pas jugé utile de rempiler pour un deuxième mandat. C’est qu’il était sans doute en ballottage très défavorable: il était en effet de plus en plus contesté. Sa gouvernance était jugée chaotique, à telle enseigne qu’il a été publiquement interpellé voici deux mois par plusieurs de ses prédécesseurs sur son action et ses méthodes de direction. En somme, mutatis mutandis, le syndrome François Hollande, estimant qu’il n’était pas en situation de se représenter à l’élection présidentielle française de mai 2017…
Autre question: pourquoi une «troïka» pour le remplacer? Il est connu que Fatima Ezzahra El Mansouri était indécise, alors que la majorité des membres de la direction du parti s’était prononcée depuis le mois de novembre dernier contre un nouveau mandat de Abdellatif Ouahbi. Institutionnellement, par statut donc, elle était numéro deux en sa qualité de présidente du Conseil national. Elle ne s’est finalement décidée à sauter le pas, semble-t-il, qu’à la veille du congrès. Par devoir? Par ambition jusqu’alors contenue? En tout cas, voilà qui pose en termes forts la question du cumul des mandats. Déjà maire de Marrakech, ministre d’un département couvrant l’Aménagement du territoire national, l’Urbanisme, l′Habitat et la Politique de la ville, elle est désormais présidente du collège de trois membres du PAM. Pareille situation est-elle vraiment un gage de bonne gouvernance? Difficile de le soutenir. Il faut rappeler, au passage, que cette question du cumul pose problème ailleurs: Aziz Akhannouch, Chef du gouvernement, est maire d’Agadir; Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, est lui aussi édile de Taroudant; mais Nabila Rmili, maire de Casablanca, nommé ministre de la Santé, a présenté sa démission une semaine plus tard, le 14 octobre 2021, au motif officiel des tâches et des dossiers importants à l’ordre du jour dans la capitale économique du Royaume.
Cela dit, le PAM pâtit d’un déficit de leadership. Pas moins de six secrétaires généraux se sont succédé depuis son congrès constitutif en février 2009: Hassan Benaddi, Mohamed Cheikh Biadillah, Mustapha Bakkouri, Ilyas El Omari, Hakim Benchamach et Abdellatif Ouahbi. Des profils contrastés…
Ce parti s’est constitué autour de «réseaux» clientélistes et même régionalistes, et la priorité a été donnée à des notables dont une majorité se distinguait par un affairisme et une fortune quelque peu opaque. La procédure judiciaire en cours à Casablanca impliquant Saïd Naciri et Abdenbi Bioui, respectivement parlementaire et Président du Conseil de l’Oriental -tous deux PAM, inculpés, mais jouissant de la présomption d’innocence- jette une lumière crue sur certaines pratiques partisanes…
Enfin, la sociologie de ce parti ne manque pas d’intérêt. Les notables du Rif, ceux de la région de Marrakech et ceux du Souss, secondairement ceux de Casablanca, restent dans un schéma de rivalité, ravivée durant des années par la séquence Ilyas El Omari-Hakim Benchamach. La présidence collégiale à trois membres arrivera-t-elle à enjamber cette donnée? Lors du congrès, les urnes ont été absentes: le consensus par acclamations a prévalu. La collégialité n’a jamais fait la preuve de son efficience comme mode de gouvernance: elle met les divergences et les divisions sous le tapis… Enfin, que sera le PAM saison 2 aujourd’hui à l’affiche?
Les trois dirigeants ont tous quinze ans d’adhésion au PAM. Ne sont-ils pas comptables et responsables du bilan de cette formation? Peuvent-ils s’imprégner de nouveaux principes de nature à correspondre au référentiel originel du Mouvement pour tous les démocrates de 2008? Quelle est la valeur ajoutée du PAM dans ce gouvernement? Il est à l’étroit par suite de son strict cantonnement par Aziz Akhannouch, ce qui ne lui permet pas vraiment de porter et encore moins d’incarner des réformes visibles et lisibles aux yeux des citoyens. Il a déjà fait les frais, depuis 2021, de nombreux départs vers… le RNI, jugé plus porteur. Dans un avenir prévisible, telles les élections de 2026, il aura sans doute de la peine à unifier ses rangs et à mettre en exergue une offre politique attractive. Un vote utile alors pour le PAM? Voire...