Beau coup de filet du Bureau central d’investigations judiciaires relevant de la DGST-DGSN avec l’annonce de l’arrestation de pas moins de 13 partisans de l’«Etat islamique» préparant des opérations terroristes dans le Royaume. Preuve que la menace est toujours là, que l’appareil sécuritaire est toujours en veille et mobilisé, et que le Maroc se distingue de nouveau par sa vigilance, son expertise et la professionnalisation de sa politique dans ce domaine.
Des cellules terroristes démantelées? C’est l’une des missions et des priorités du BCIJ. Depuis 2010, plus de 200 d’entre elles ont été neutralisées. En remontant plus loin, durant les deux décennies écoulées (2002-2022), ce sont quelque 500 projets terroristes qui ont été avortés, 91 cellules rattachées à Daech identifiées et leurs membres poursuivis. C’est dire qu’il n’y a pas de «menace zéro» au Maroc -pas plus, d’ailleurs, que dans la majorité des pays. Cela dit, le réseau neutralisé cette semaine présente des traits bien particuliers. Le chiffre de ses membres, 13, ne peut que surprendre -depuis 2021, les groupes étaient plus modestes, cinq membres au plus. Autre trait de ce groupe arrêté par le BCIJ: sa localisation territoriale à travers les régions au Royaume. La géographie atteste ainsi de plusieurs éléments: de grandes villes (Casablanca, Tanger) et d’autres moyennes (Mohammedia, Khenifra, Berkane, Ksar El Kebir, Témara, Berkane, Tiflet, Rissani, Beni Mellal); une sociologie intéressante avec des membres de 19 à 49 ans; un milieu social modeste sinon précaire (artisans, travail informel); une faible inclusion économique; et une culture religieuse plus que primaire.
Des «activistes» pratiquement, sans de fortes motivations idéologiques mais plutôt happés par une rhétorique basique du référentiel islamiste. Au fond, il y a plus du «terrorisme» dans leur embrigadement que du jihadisme islamiste. A noter encore que ce sont, à un premier niveau, des «loups solitaires» mais qui se sont inscrit dans une action de groupe. Ils ont ainsi opéré des reconnaissances de lieux des installations névralgiques et des institutions sécuritaires; ils ont aussi partagé des «recettes» de fabrication d’explosifs. L’enquête policière et l’instruction judiciaire permettront de déterminer non seulement le modus operandi prévu mais aussi le planning des projets terroristes en préparation. L’idée qui prévaut est sans doute celle-ci: un «grand coup» de terrorisme dans dix villes pour créer une situation de peur et d’accréditation d’une vague terroriste en marche, tranchant avec telle ou telle action isolée. Toutes choses égales par ailleurs, voilà qui rappelle les actes terroristes de Casablanca du 16 mai 2003, sauf à préciser que l’on avait affaire à une seule métropole urbaine et à un seul groupe d’un quartier périphérique de celle-ci. Une action maroco-marocaine dans un premier temps, qui devait cette fois-ci s’insérer dans celle d’un groupe jihadiste au Sahel -il était d’ailleurs prévu de s’y rendre...
Pourquoi le Maroc continue-t-il à être visé et priorisé dans la région comme cible? Pour plusieurs raisons liées entre elles. La première a trait au rôle pivot, leader même, du Royaume dans la lutte antiterroriste. Au carrefour de trois continents et de deux mers, il a une situation géostratégique particulière accentuée par le contrôle du Détroit de Gibraltar, l′une des grandes voies de transport maritime dans le monde. Il a aussi œuvré pour définir et mobiliser la communauté internationale dans la lutte antiterroriste. La conférence mondiale de Marrakech en mai 2022 en est l’une des illustrations, avec la participation de quelque 80 pays. Un rôle consacré ailleurs: coprésidence (avec les Etats-Unis, l′Italie et le Niger) du Forum global de lutte contre le terrorisme, bureau de l’ONU à Rabat dédié à la lutte antiterroriste en Afrique... Enfin, le Maroc ne se limite pas à une «boîte à outils» technique et opérationnelle mais se définit aussi par une stratégie complémentaire de développement. Depuis près de deux décennies, cette vision a été développée par SM le Roi: les foyers terroristes se développent dans un terreau de pauvreté, de chômage et d’exclusion; ce sont les conditions socioéconomiques qu’il faut prendre en charge pour escompter à terme, à tout le moins, une forte réduction du terrorisme. Des propositions et des politiques qui intéressent plusieurs pays parce que ce «Made in Morocco» est efficient et qu’il a donné des résultats probants.
Cela dit, il faut également relever qu’à beaucoup d’égards, la nature du terrorisme islamiste a sensiblement muté au fil des ans. Le corpus religieux en est, de manière variable suivant les pays et les groupes, l’une des composantes soit avec un référentiel prétendument religieux soit avec une propagande de slogans de nature à sensibiliser des recrues potentielles. Mais il faut ajouter une évolution mutante, voire même une transformation: celle d’un jihadisme comme «business». Cela donne des «faux jihadistes», pour reprendre l′expression de mon collègue Abderrahmane Mekkaoui, spécialiste des questions sécuritaires. De quoi s’agit-il? De la mobilisation de ressources financières dans des activités criminelles: attaques d’agences bancaires, prélèvement de dîmes de passage par les coupeurs de route au Sahel et dans les pays voisins, extorsion de fonds, imposition d’activités artisanales et paiement de rançons. Des chapitres complétés par des trafics de tous genres: armes, cigarettes, drogues, cocaïne (le Golfe de Guinée étant désormais le point d’attache des circuits d’Amérique latine), psychotropes, immigration clandestine...
Ce phénomène s’est développé: il est même devenu structurant dans l′économie mafieuse de la mouvance jihadiste. Il ne distingue, par ailleurs, par l’utilisation de modes de financement particuliers qui ont pratiquement rompu avec les circuits formels bancaires et autres, notamment par la «hawala» comme compensation entre les clients. La lutte antiterroriste ne pourra porter tous ses fruits que si des mesures vigoureuses sont prises dans ce domaine. Mais comment les mettre en œuvre? Tant de pays sahéliens et voisins accusent en effet de fortes insuffisances pour affirmer et faire prévaloir l’autorité de l′Etat et celle de ses institutions. Le modèle dominant n’est-il pas en effet celui d’une «zone grise» pâtissant d’une certaine autonomie de tribus, d’ethnies, de régions, réduisant la pleine souveraineté de l’Etat central?
Mais il y a plus. Il faut bien mettre en cause, en particulier, le rôle de l’Algérie. Veille-t-elle vraiment à sécuriser sa frontière avec le Mali? Pas le moins du monde. Des réseaux -Azawad et autres- disposent de grandes facilités de ce pays. Le ravitaillement en carburant et en eau est assuré par la logistique algérienne dans les camps de Tindouf avec des camions-citernes sillonnant les centres du Sahel. La connexion du mouvement séparatiste du «Polisario» avec les réseaux jihadistes dans la région est établie, traduisant bien l’instrumentalisation d’Alger. Le 15 septembre, l’opération Barkhane a neutralisé Adnan Abou Walid al- Sahraoui (alias Lahbib Ould Abdi Ould Said El Bachir), ancien dirigeant du GIA algérien reconverti à la tête du groupe «Etat islamique au Grand Sahara». Il avait pour adjoint un autre Sahraoui de Tindouf, Lakhal Sidi Salama (alias Abdelkader Sahraoui), tué, lui, quatre mois auparavant, le 23 mai 2021. Autant d’éléments, parmi tant d’autres, qui confondent si besoin était l’Algérie à propos de sa responsabilité régionale dans les crises et les conclusions dans la région. Un contre-modèle de celui du Maroc...