L’autonomie «base» de «solution» pour le Sahara: comment l’Europe avance, alors que la France de Macron recule

Le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et le Chancelier fédéral d'Autriche, Karl Nehammer, mardi 28 février 2023 à Rabat.

Le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et le Chancelier fédéral d'Autriche, Karl Nehammer, mardi 28 février 2023 à Rabat.

En apportant un soutien aussi clair que ferme à l’autonomie des provinces du Sud sous souveraineté marocaine comme «base» d’une «solution» au conflit artificiel sur le Sahara, l’Autriche intègre un nouveau paradigme que 10 pays de l’Union européenne partagent désormais. Rigide, la France, pourtant aux avant-postes des appuis au Royaume lors de la présentation de la proposition marocaine en 2007, est aujourd’hui en queue du peloton. Comment en est-on arrivé là? Décryptage.

Le 02/03/2023 à 14h28

L’Autriche considère le plan d’autonomie, présenté par le Maroc en 2007, comme une «base» de «solution» au différend autour du Sahara atlantique. À elle seule, cette phrase traduit un changement radical de paradigme qui prend désormais pied un peu partout en Europe et enclenche une nouvelle dynamique dans le traitement et le règlement définitif du dossier du Sahara marocain. La nouvelle position a été actée dans la Déclaration conjointe adoptée à l’issue de la réunion tenue mardi 28 février 2023 à Rabat entre le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et le Chancelier fédéral d’Autriche, Karl Nehammer. Et elle change substantiellement la donne.

«De plus en plus de pays d’Europe s’éloignent désormais de la simple rhétorique de circonstance pour s’engager davantage et de manière ferme dans la recherche d’une solution avec le plan d’autonomie comme base non seulement des négociations entre les parties au conflit, mais de solution à la question du Sahara. En mettant en valeur l’autonomie comme «base de solution», l’Autriche rejoint ainsi des pays comme l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg qui se rangent définitivement du côté du Maroc sur ce dossier», explique une source diplomatique.

Ils sont en effet désormais 10 pays de l’Union européenne (dont l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Hongrie, la Slovaquie et Chypre) à s’exprimer en faveur du plan d’autonomie marocain en tant que base d’une solution sérieuse et crédible. Ceci, en plus de pays européens hors UE comme la Serbie et la Suisse. Et ce n’est pas fini. Lors de la conférence donnée mardi dernier avec le vice-ministre fédéral autrichien des Affaires européennes et internationales, Peter Launsky, le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, a promis que «d’autres pays suivront dans l’avenir».

«Il est temps d’avancer»

Le pas franchi est énorme et la nuance entre les postures d’avant et les positions d’aujourd’hui est fondamentale. «Lorsque certains pays évoquent ou parlent encore de l’option d’autonomie comme d’un effort sérieux et crédible, cela relève de l’appréciation. Une façon de nous dire: «C’est bien». C’est comme si un professeur venait vous dire que votre travail semble bon, mais sans que vous ne sachiez ce que cela signifie exactement et dans quoi cela vous engage. Cette attitude a certes permis de faire connaître la proposition marocaine, mais le fait est que depuis 2007, de l’eau a coulé sous les ponts et il est temps d’avancer», explique notre source.

La nouvelle dynamique est d’ores et déjà lancée. Avec les nouvelles positions européennes, qui s’ajoutent au soutien américain à la souveraineté marocaine sur son Sahara et l’appui de pays arabes et africains, la proposition d’autonomie n’est plus seulement appréciée pour son contenu et sa démarche, mais considérée comme le document qui constitue LA base d’une solution. «Il y a là un grand changement. Cela crée une perspective de solution indissociable de l’autonomie. Le mouvement dans lequel plusieurs pays d’Europe s’inscrivent correspond à une finalité bien définie. Apprécier, c’est bien, mais faire bouger les lignes vers une solution, c’est mieux», précise le diplomate sous couvert d’anonymat.

De quoi donner raison au chef de la diplomatie marocaine qui avait appelé, il y a plus d’une année, l’Europe à «sortir de sa zone de confort» afin de contribuer réalistement à une solution au conflit artificiel autour du Sahara marocain, et à ne pas se contenter d’appuyer un processus qui peut durer très longtemps à cause de l’absence de volonté chez les autres parties. La dynamique en faveur du plan d’autonomie récolte chaque mois davantage de soutiens. Ce changement qualitatif constitue aujourd’hui, de façon irréversible, la «zone d’atterrissage» au différend du Sahara atlantique.

Le fait que l’Autriche s’inscrive dans cette perspective est significatif à plus d’un titre. Le 28 février 2023, le Maroc et l’Autriche célébraient le 240e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques, entamées lorsque Mohamed Ben Abdelmalek a présenté ses lettres de créance, en tant qu’ambassadeur du sultan Moulay Mohamed III, à l’empereur Joseph II… en 1783.

Le poids diplomatique de l’Autriche est aussi important qu’ancré dans l’Histoire. De par sa neutralité, ce pays occupe quasiment le même rang que la Suisse. Vienne est ainsi une capitale diplomatique incontournable, puisqu’elle abrite le troisième siège des Nations unies, après New York et Genève, ainsi que ceux d’autres organisations internationales importantes comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)… «L’Autriche est un carrefour diplomatique connu et reconnu avec, notamment, les accords de Vienne sur les relations diplomatiques. Et c’est tout un symbole», précise notre spécialiste.

Rupture

L’Autriche fait également partie de cette nouvelle Europe, pragmatique, décomplexée, claire dans ses choix et sa stratégie. «Et son soutien est d’autant plus important qu’il prouve que le Maroc a réussi ce que souhaitait Sa Majesté, à savoir une diversification des partenaires au sein de l’Union européenne. Au-delà de la Méditerranée, les pays d’Europe qui soutiennent la position marocaine sur le dossier du Sahara, ce sont les pays du Benelux, l’Allemagne et aujourd’hui l’Autriche. On le voit bien: le centre de gravité du dossier du Sahara se déplace et s’élargit», indique notre source.

C’est aussi une rupture de taille. D’abord pour l’Autriche, jusque-là un fief des séparatistes. Le pays était en effet le théâtre d’un activisme pro-Polisario prononcé. Au sein du Parlement européen, Andreas Schieder, le président de l’intergroupe «Paix pour le peuple sahraoui», un soutien de la bande à Brahim Ghali, est autrichien. Le pas franchi par l’Autriche en faveur du plan d’autonomie élargit le cercle des pays qui appellent à cette solution réaliste –la seule à même de mettre un terme à un conflit artificiel.

Paradoxalement, la dynamique des pays de l’UE en faveur du plan d’autonomie met les feux des projecteurs sur l’allié traditionnel du Maroc: la France. Paris, naguère à l’avant-garde sur le dossier puisqu’elle a soutenu la proposition d’autonomie dès sa présentation par le Maroc en 2007, mais sans jamais la considérer comme base d’une solution, est aujourd’hui à l’arrière-garde. Incompréhensible pour les Marocains, la position de la France d’Emmanuel Macron sur le Sahara se ternit davantage chaque fois qu’un nouveau pays européen considère l’autonomie comme la base d’une solution au conflit du Sahara.

Entre les pays d’Europe qui connaissent parfaitement le dossier, comme l’Espagne, ceux qui étaient passifs mais avec un penchant envers les séparatistes, comme l’Allemagne, et ceux qui ont une volonté de construire avec le Maroc, comme le Benelux, toutes les lignes ont bougé. «L’Europe dans sa globalité est consciente du rôle du Maroc et de son Souverain dans la stabilité régionale et considère le Royaume comme un allié essentiel face aux défis et enjeux actuels et à venir, en Afrique et partout dans le monde. Maintenant, que ceux qui résistent s’expriment sur le sujet et disent pourquoi. Mais qu’ils comprennent que le Maroc évalue la sincérité des partenaires à l’aune du Sahara», conclut le diplomate.

Par Tarik Qattab
Le 02/03/2023 à 14h28