L’Amazigh en nous

Karim Boukhari.

Karim Boukhari.

ChroniqueCela fait longtemps que l’on fête le fatih Muharram et le 1er janvier. Alors pourquoi pas le Yennayer? Comment a-t-on pu attendre si longtemps de fêter le nouvel an amazigh? Pourquoi un tel oubli?

Le 06/05/2023 à 09h00

Il y a un gros malaise qui a longtemps entouré la question amazighe. Ce malaise vient de la propagande qui a construit le récit national, en s’appuyant à la fois sur des éléments de religion et de politique. Et les deux étaient si intimement liées…

Pour les religieux, Yennayer est une tradition païenne, hérétique, remontant à la période dite de la jahiliya (avant l’islam) où les populations de toute l’Afrique du Nord étaient assimilées à des «barbares». Nos manuels scolaires ont longtemps gardé une trace évidente de cette vision tronquée (et scandaleuse) de l’Histoire.

Pour les politiques, Yennayer est une porte d’entrée au séparatisme et à la «fitna». Ce point de vue rejoignait souvent celui des religieux. Personne n’avait envie d’ouvrir cette porte, surtout au lendemain des indépendances.

Le récit national, qui a été réactualisé à la lumière de l’indépendance, a donc été construit au détriment de la question amazighe. L’Amazigh en nous a été mis de côté, on a essayé de le gommer dans le but, croyait-on, de préserver l’unité nationale.

La montée parallèle du panarabisme et du salafisme ont ajouté à la confusion, en tentant à leur tour de noyer la question amazighe. Plusieurs nationalistes, à cheval entre panarabisme et salafisme, ont alors répandu l’idée que cette question était une «invention» coloniale.

Ces questions paraissent invraisemblables, aujourd’hui. Parce que beaucoup de chemin a été parcouru. Mais à l’époque…

Il y avait un contexte et il était lourd, très lourd. Dans certains milieux, l’amazighité faisait l’unanimité ou presque contre elle. Parce que source, croyait-on, de discorde. On taxait les militants de séparatistes, c’est dire.

Bien sûr, les tenants de cette ligne n’étaient pas tous des ignares, qui ne connaissaient pas l’histoire du pays, son identité plurielle, toutes les strates qui se sont accumulées pour forger la personnalité marocaine d’aujourd’hui. Ils avaient leurs peurs et leurs craintes, mais ils ont poussé le bouchon loin, très loin.

Depuis les années 1980, on assiste à un juste retour de la question, devenue aujourd’hui centrale. Enfin. Il faut mettre de côté ces antagonismes du passé. Arrêtons d’opposer amazighité et arabité, islamité, etc.

L’amazighité a été et sera toujours en nous. Nous la portons et l’incarnons, elle est nous. Elle est ancienne, très ancienne, et elle est aujourd’hui porteuse d’une grande modernité. Nous devons beaucoup à ces militants, connus ou pas connus, qui ont tant donné, tant souffert, pour cette cause juste et essentielle.

Bien sûr, la consécration de Yennayer, désormais férié et payé, ne règle pas toutes les questions en suspens. Mais la symbolique du geste royal est forte.

Ceux qui ne veulent pas de Yennayer aujourd’hui sont les mêmes qui ne voulaient pas du «réveillon». Tant pis pour eux. En janvier prochain, on fêtera comme il se doit ce premier Yennayer chômé et payé de notre histoire. La fête sera nationale et générale, en un mot marocaine. Alors vivement Yennayer 2974!

Par Karim Boukhari
Le 06/05/2023 à 09h00