«Le Maghreb dans la nouvelle géopolitique mondiale» est le thème de la riche conférence-débat organisée mercredi 25 octobre par la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université Mohammed V-Agdal de Rabat. Deux invités de marque ont été conviés à s’exprimer sur un sujet on ne peut plus épineux, sous la baguette d’une des figures de proue du journalisme au Maroc, Farida Moha. Il s’agit de Driss Guerraoui, ancien haut fonctionnaire marocain, professeur universitaire et président de l’Université ouverte de Dakhla. Il s’agit aussi de Jean-Louis Levet, économiste, haut fonctionnaire et essayiste français. Avec Paul Tolila, c’est à lui que nous devons le best-seller Le mal algérien, paru aux éditions Bouquins. Spécialistes de la société et du pouvoir algériens, les deux auteurs y dénoncent sans concession la véritable nature du régime d’Alger et les blocages qu’il oppose au développement du pays et à des relations apaisées avec son proche voisinage, notamment la France. Jean-Louis Levet est également l’auteur de France-Algérie. Le grand malentendu paru aux éditions de l’Archipel. Docteur d’État en sciences économiques, il a été nommé par le gouvernement français, haut responsable à la coopération technologique et industrielle franco-algérienne de mai 2013 à janvier 2019. Le mal algérien est ainsi le fruit de plus de 5 années d’investigations de terrain, et de déceptions. Il nous en parle.
Le360: Votre conférence à Rabat a porté sur le Maghreb. Croyez-vous en une telle union au vu des blocages et autres retards qu’accusent des pays comme l’Algérie?
Jean-Louis Levet: Si nous pouvons déjà avancer au niveau des trois pays de l’Afrique du Nord, ce serait bien. Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie sont au cœur de la relation entre l’Afrique et l’Europe. Ils ont pour vis-à-vis immédiat l’Espagne, la France et l’Italie. Il est donc évident que nous devons travailler ensemble. Des pays comme la France et l’Allemagne, qui s’étaient livrés des guerres atroces, ont réussi à s’entendre très vite pour devenir les locomotives de la Communauté, puis de l’Union, européenne. Quelles que soient les critiques qu’on peut lui opposer, cette dernière reste la seule zone de paix aujourd’hui avec un marché intérieur et où les 400 millions d’Européens peuvent passer d’un pays à un autre sans montrer leur passeport. Moi, j’aimerais en tant que citoyen français, européen et citoyen du monde faire en sorte que cette paix et cet humanisme puissent être partagés.
Quid des freins idéologiques et passéistes que certains utilisent face à cette nécessaire intégration?
Il faut d’abord arrêter de parler de colonisation. C’est du passé. L’enjeu aujourd’hui, ce sont les jeunes et notamment les femmes qui, dans les pays du Maghreb, sont souvent dans des situations sociales difficiles. Le Code de la famille en Algérie, celui de 1984 et qui stipule que la femme est toujours soumise à un mari, un oncle, est un fait et il est toujours de mise. Ce sont là des réalités. Or, nous avons des valeurs en partage. Il ne tient qu’à nous de nous réunir autour.
Lire aussi : «Le mal algérien», un livre explosif qui raconte l’immersion de deux experts français au «pays du monde à l’envers»
Je ne vois pas comment nous pourrions passer à côté de cette fantastique opportunité que nous offre cette mondialisation fragmentée d’aujourd’hui où, paradoxalement, et malgré les tentatives hégémoniques de pays comme la Chine ou la Russie, nous pouvons en tant qu’Européens et Maghrébins travailler ensemble. Nous avons en Europe 15 millions de personnes originaires du Maghreb (qui pèsent l’équivalent en PIB de toute la région maghrébine et ses 100 millions d’habitants, NDLR). Formés et intégrés, ils peuvent être aussi bien des Marocains, Tunisiens ou Algériens que des Français, Italiens, Allemands ou Espagnols. C’est un outil formidable de rapprochement.
Véritable cri contre le «Système», votre livre «Le mal algérien», co-écrit avec Paul Tolila, est un best-seller. Pourquoi un tel ouvrage?
J’ai fait ce livre avec Paul Tolila, qui était mon conseiller dans ma mission de cinq ans et demi en Algérie. Cela fait 40 ans que j’écris des essais. Le but est de communiquer et de créer des liens avec les autres. C’est probablement un peu vaniteux, mais je considère qu’au bout d’un moment, et avec l’expérience qu’on a accumulée, on a peut-être des choses à dire et à faire partager. Dans ce monde d’aujourd’hui où le mensonge se substitue de plus en plus aux faits, où le régime des sentiments prend le pas dans la sphère politique, nous avons besoin de faits, d’arguments et de débat. Ce livre est notre contribution. Je me souviens à ce propos de l’enquête faite sur Donald Trump. Sur les deux premiers mois de sa présidence, et sur 1.000 propos, 4 seulement se sont révélés vrais. Il n’y a donc pas que la politique de désinformation opérée par Vladimir Poutine ou les dictateurs que l’on connait, pour qui c’est une pratique normale, l’Histoire commençant avec eux.
Lire aussi : Aux sources du «Mal algérien»
Vous vous attendiez à un tel succès?
Le pari était difficile, mais ce succès veut dire que les lecteurs ont apprécié le livre. Personnellement, j’ai reçu énormément de réactions positives, de messages constructifs. Cela nous encourage et pourquoi pas, demain, une deuxième édition.
Au bout des plus de cinq ans d’expérience que vous avez eus de l’Algérie, qu’en retenez-vous?
J’en retiens une chose extrêmement simple : toutes les Algériennes et tous les Algériens que j’ai rencontrés sont des personnes rigoureuses, curieuses, qui ont des compétences et qui veulent travailler et apprendre, notamment avec nous Français et, plus globalement, Européens. C’est le plus important, mais c’est souvent ce que j’ai mal vécu avec ce «Système» politico-administratif algérien qui a tendance à développer une énergie farouche pour que rien ne se passe.
La crise algérienne, est-elle le fait d’hommes ou d’un système?
Les deux.