Nous vous rapportions l’information début décembre dernier: l’été passé, le Maroc a sélectionné un groupe israélien -Israel Aerospace Industries (IAI), une firme dirigée par Amir Paretz, ancien ministre de la Défense et un natif de Bejaâd au Maroc- pour le renouvellement de ses deux satellites d’observation Mohammed-VI A et B, lancés respectivement en 2017 et en 2018 et construits par le consortium français composé d’Airbus Defence & Space (ADS) et de Thales Alenia Space (TAS).
Si le projet fait depuis son chemin, Mathieu Luinaud, enseignant en économie à Sciences Po Paris et expert du secteur spatial, en explique tant le bien-fondé que les raisons derrière ce changement de «casting». Dans une tribune publiée sur les colonnes du quotidien français L’Opinion, l’expert souligne que le Maroc compte «une capacité souveraine en observation de la Terre grâce au double programme de satellites Mohammed-VI A et B», et confirme que leur renouvellement se fait au détriment de la France et du groupement formé par Airbus et Thales Alenia Space, «dans un contexte de tensions diplomatiques entre la France et le Maroc».
L’offre présentée par ledit groupement n’a visiblement pas eu les faveurs des autorités marocaines, indiquait pour la circonstance, en décembre 2023, le quotidien français La Tribune. À en croire la même source, Rabat aurait été jusqu’à refuser de recevoir des représentants de la Direction générale de l’armement (DGA), département du ministère français des Armées, qui souhaitait alors défendre les offres des groupes français.
Le Maroc, «une terre d’industrie spatiale»
Toutefois, précise Mathieu Luinaud, si l’Israélien IAI l’a emporté, c’est essentiellement pour des raisons technologiques. La nouvelle génération de satellites d’observation de la Terre que propose la firme israélienne, connue sous le nom OptSat-3000, offrirait une résolution de 40 cm, contre 70 cm pour les satellites Mohammed-VI, ainsi qu’une interopérabilité avec la constellation d’imagerie radar italienne COSMO-SkyMed, qui permet «de nouvelles perspectives de fusion de données utiles notamment pour l’État marocain».
Lire aussi : Défense: le Maroc a commandé un nouveau satellite d’observation auprès d’un groupe israélien
Fondé en 1948, le groupe israélien IAI est actif dans les secteurs de la défense et de l’aérospatiale. En plus des avions militaires et des hélicoptères, son expertise englobe des systèmes et des solutions dans des domaines aussi divers que les satellites de reconnaissance et les radars, s’étendant à tous les aspects de la commande, du contrôle, et des communications, y compris dans les sphères de l’informatique et de la cybernétique.
«Ce choix, qui peut surprendre dans sa distanciation du partenaire français historique, peut par ailleurs s’expliquer par le rapprochement récent entre le Maroc et Israël, dont la société IAI a été un bénéficiaire de premier plan, via la signature d’un accord de coopération consistant particulièrement en la construction d’un centre d’excellence à l’Université de Rabat pour y développer l’effort de R&D spatiale et la formation d’experts marocains», écrit l’expert. Pour lui, la préfiguration de ce nouveau pôle d’expertise n’est qu’un des atouts dont pourrait disposer le Maroc pour devenir, à terme, une terre d’industrie spatiale.
Lire aussi : La Russie annonce le lancement de satellites pour le compte de l’Algérie
Plus qu’un pays consommateur des technologies aérospatiales, le Maroc se veut donc un futur acteur dans ce domaine, comme il a su le devenir dans des domaines aussi pointus que l’industrie aéronautique. Là encore, le Maroc entend en faire de sa proximité géographique avec l’Europe et de la préexistence de voies commerciales faciles d’accès des leviers pour attirer des sites de production offrant, entre autres, des coûts de production réduits. «Cette tendance est déjà à l’œuvre dans l’industrie automobile, où les grands industriels consentent des investissements colossaux dans les chaînes de production locales, leur permettant de dégager plus de marges bénéficiaires pouvant par la suite être réinvesties dans la R&D, une dynamique aujourd’hui facilitée par des accords de libre-échange qui se multiplient et des procédures administratives rapides et allégées», précise l’économiste.
En plus des atouts qu’il recèle, le Maroc brille également par une longueur d’avance en la matière. Si le tremblement de terre du 8 septembre 2023 a révélé l’importance des capacités spatiales dans la réponse aux crises et catastrophes naturelles, le Royaume est loin d’avoir attendu ce drame pour s’intéresser à ce domaine. Il a même été parmi les premières puissances du continent africain en matière de développement. «C’est notamment le rôle du Centre royal de télédétection spatiale (CRTS), qui fait office d’agence spatiale nationale et de gestionnaires de la diffusion d’imagerie satellite dans le pays», ajoute Mathieu Luinaud.
Lire aussi : Comment grâce aux satellites, le Maroc aide la Minurso à constater les violations du cessez-le-feu par le Polisario
Sur le plan domestique, et dans une économie où l’agriculture et la pêche représentent autour de 12% du PIB, une utilisation plus intensive de la donnée spatiale offre des perspectives indéniables de gains de productivité pour le pays, avec un meilleur contrôle des semences et des ressources halieutiques dans une double perspective d’efficacité et de préservation pour le pays.
Les enjeux sont aussi liés à des questions de sécurité nationale. Les besoins de surveillance du Polisario au Sahara et les relations diplomatiques tendues avec l’Algérie justifient des capacités d’observation souveraines, qui ne sont pas étrangères au renouvellement annoncé des deux satellites du Royaume.
Un historique entamé en 2013
Pour rappel, en 2013, le gouvernement marocain avait acquis un système d’observation auprès de TAS et ADS, dans le cadre d’un contrat correspondant à plus de 500 millions d’euros. Ce système est composé de deux satellites de reconnaissance et d’observation de la Terre (A et B) de type «Pléiades». Le premier a été lancé en novembre 2017, suivi par le second, un an plus tard, en novembre 2018.
Baptisées Mohammed VI A-B, les deux satellites avaient été fabriqués par TAS, comme maître d’œuvre du système, et Airbus, comme co-maître d’œuvre. TAS avait fourni la charge utile, comprenant l’instrument optique, le sous-système de transmission d’images et le segment sol pour le traitement et la production d’images, tandis qu’ADS était en charge de son intégration, ainsi que de la fourniture de la plateforme et du segment sol pour la planification des missions et le contrôle du satellite.