Un célèbre western américain veut que «le monde se divise en deux catégories: ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent». Une lecture distanciée de l’histoire contemporaine de l’Algérie montre que ce n’est pas toujours valable puisque ceux qui ont pris les armes contre le colonisateur français, en l’occurrence les Kabyles, sont ceux-là même pour qui les «vainqueurs» ont creusé des tombes, au propre comme au figuré, les éliminant physiquement et les retirant chemin faisant du panthéon national algérien.
Lors de la conférence qu’il a donnée lundi 3 octobre 2022 à Casablanca dans le cadre du cycle de conférences «Le Grand Témoin» par Le360, l’historien et africaniste français Bernard Lugan a donné un large aperçu sur une véritable imposture dans laquelle des planqués arabistes ont imposé leur idéologie à des combattants berbéristes auxquels l’Algérie doit son indépendance. «On est au cœur du problème algérien», résume ainsi l’historien.
Pour lui, le schéma de départ est bien simple, la guerre en Algérie a été menée, côté indépendantistes, par deux forces: ceux qui se sont battus à l’intérieur, les Kabyles, et ceux, arabistes, qui étaient planqués, sur les frontières marocaines et, dans une moindre mesure, tunisiennes. Il y avait ainsi d’un côté les combattants du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et de l’autre l’Armée de libération nationale (ALN), dite «armée des frontières».
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«Ceux qui étaient planqués étaient par définition intacts à la fin de la guerre, tandis que ceux qui étaient à l’intérieur, soit les maquisards kabyles, se sont battus. La guerre était dure, les Français n’ayant rien lâché. Il y a donc eu des morts et une grande partie de ces combattants a été décimée», indique Lugan.
Le lendemain de l’indépendance, en pleine forme, puisque peu ou pas engagée dans la guerre, l’ALN à tendance arabiste d’un certain Houari Boumédiène et son paravent civil, mené par Ahmed Ben Bella, vont tout simplement mettre de côté le GPRA. «L’armée des frontières va littéralement marcher sur Alger. Il va d’ailleurs y avoir des combats que l’ALN, en supériorité, va remporter», explique l’africaniste de renom.
Ô miracle, la guerre des sables arrivaLes maquisards du GPRA n’étaient, eux, guère très nombreux, ayant auparavant été étrillés par l’armée française. L’armée des frontières va donc prendre le pouvoir. «Il va y avoir la rébellion de l’armée kabyle qui va surgir l’année suivant l’indépendance, mais, ô miracle, il va y avoir la guerre des sables. En fait, au moment où la révolte kabyle va prendre de l’importance, l’Algérie provoque la guerre contre le Maroc. Union sacrée, etc. Nous sommes dans de la pure manipulation», relate Lugan.
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La révolte est tue, ses symboles effacés et le récit est réécrit à la grande gloire des vainqueurs. Mais c’est compter sans le poids, et les traces, du temps qui passe. Cette usurpation de l’histoire est ressortie au grand jour en Algérie avec la publication en 2010 du livre «Amirouche, une vie, deux morts, un testament», écrit par Saïd Sadi, édité par L’harmattan et consacré à Amirouche Aït Hamouda.
Amirouche est le chef emblématique du maquis kabyle de la wilaya III, tué au combat le 29 mars 1959. Cette wilaya kabyle, renseigne l’historien, était la plus pugnace dans le combat indépendantiste. «Ce livre dirait, expliquerait, démontrerait qu’Amirouche aurait été donné aux Français par l’état-major de l’ALN pour écarter un concurrent qui, lui, avait une légitimité», explique-t-il. Ce livre a naturellement fait scandale en Algérie et il n’est pas pour rien dans le déclenchement du Hirak, dont un des principaux leitmotivs était le rejet de la fausse histoire imposée par le FLN depuis 1963.
Au cœur du non-dit algérienNous sommes au cœur du grand non-dit algérien. «Heureusement, ce grand non-dit est de plus en plus connu par les élites, les jeunes, ne serait-ce que l’immigration en France, où les Algériens ne sont pas pris par la propagande du régime. A Lyon, je suis souvent interpellé par des jeunes Algériens en France sur cette même histoire des planqués de l’ALN qui ont pris le pouvoir», témoigne Lugan, également grand connaisseur de l’histoire du Maroc.
L’autre drame de l’histoire contemporaine de l’Algérie pour lui est que non seulement l’Algérie était dépouillée de son élite en 1962, mais ceux qui ont pris le pouvoir au moment de l’indépendance sont souvent des imposteurs, n’ayant pas les faits d’armes de ceux qu’ils ont écartés. Et cela continue de nos jours.
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«Comme le système est touché au cœur, il résiste encore, d’où le retour de certaines équipes à l’heure actuelle. Comme il y a le feu dans la demeure, ou la boutique, les différents sous-clans du système essayent de se rabibocher», constate l’écrivain.
Pour lui, l’histoire de l’Algérie indépendante est en effet celle du clan de l’armée des frontières. Ce clan militaire, qui sera uni au départ, a trois composantes: les déserteurs de l’armée française, les membres formés à Moscou, et ceux qui ont été instruits en Egypte. Le temps passant, ce clan va se diviser et il n’y a plus eu d’unité supérieure comme ce fut le cas il y a encore 15 ou 20 ans. D’où le nombre impressionnant de purges à l’intérieur de l’armée. «La plupart des généraux algériens ont connu la prison. Mais depuis quelques mois, on a l’impression qu’il y a un resserrage de certains clans, cette division risquant de provoquer l’effondrement de tout le système». Cette évolution à suivre ne saurait cacher la grande imposture faite par le clan des planqués de Boumédiène aux vrais combattants pour l’indépendance de l’Algérie: les Kabyles.
Retrouvez l'intégralité de la conférence de Bernard Lugan ici.