S’il y a bien une règle d’or à retenir pour définir le métier de diplomate, ça ne pourrait être que la discrétion. Qualité qui, quand elle fait défaut, rend impossible toute négociation ou démarche diplomatique. Car la confiance et le franc-parler ne sauraient exister sans ce préalable indispensable.
Or, le 4 juin, Gérard Araud, ancien représentant permanent de la France aux Nations unies, nous a gratifiés d’un tweet au pire moment de la crise diplomatique que vivent nos deux pays. Un tweet arrivé un peu comme un cheveu sur la soupe et dont le contenu oscille entre la mauvaise foi et le message subliminal.
Que dit-il concrètement? Eh bien que le Maroc ferait son chantage «habituel» à la France sur la question du Sahara, et que la France a toujours été la seule à défendre les intérêts marocains au Conseil de sécurité.
Grosso modo, nous serions une bande d’ingrats face à un super pote que serait la France.
Premièrement, la mauvaise foi. Car les actions de la France au Conseil de sécurité concernant le Sahara marocain n’ont jamais visé à défendre le Maroc, mais à maintenir et entretenir un statu quo à son avantage, empêchant ainsi tout dénouement possible, qu’il soit au profit du Maroc ou de l’Algérie. Cette stratégie de la tension menée par Paris lui permettait de préserver une capacité d’arbitrage, sinon de chantage, qu’elle pouvait monnayer par la suite économiquement et commercialement.
Une sorte de pré carré au sein duquel les États-Unis ont pendant longtemps été exclus. Mais en convergeant vers un travail de longue haleine mené depuis des années par notre diplomatie, Donald Trump a mis fin à cette mascarade diplomatique en donnant un coup de pied dans la fourmilière. Plusieurs fourmis en sont sorties depuis, dont Gérard Araud.
Deuxièmement, le message subliminal.
Il y a dans la tradition diplomatique plusieurs méthodes non conventionnelles pour atteindre les résultats escomptés. Cela va du Soft Power et de la propagande jusqu’aux dérapages contrôlés en passant par le double discours.
La sortie de Gerard Araud s’inscrit dans cette perspective, celle du canal diplomatique indirect, et a tout d’une sortie sur commande qui permet de faire passer un message à l’État marocain, sans pour autant engager ouvertement la diplomatie française. Cela se fait soit par d’anciens diplomates, soit par des personnes officieusement mandatées qu’on appelle habituellement des porteurs de lettres.
Le message pourrait être le suivant: «Nous comprenons bien le jeu auquel vous jouez, mais vous vous trompez d’ennemi en menant ce bras de fer avec la France, et il y a encore un terrain d’entente et un passif diplomatique pour entamer une nouvelle dynamique».
Deuxième partie subliminale du message: «Nous vous rappelons que nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et que nous avons les moyens, si les choses s’enveniment davantage, de vous embêter grandement à travers notre droit de veto, et que les États-Unis ne pourront vous être d’aucun secours».
Pour faire court, la stratégie de la carotte et du bâton. La diplomatie française a ainsi dit officieusement ce qu’elle voulait, sans prononcer un mot officiellement. Rien de nouveau sous le soleil.
Mais le fait est que si l’on prend un tant soit peu de recul et surtout de hauteur, cette démarche apparaît par bien des aspects anachronique et nuisible, en premier lieu pour les intérêts de la France. Car la présence et l’influence française en Afrique commencent à s’effondrer comme un château de cartes (Mali, Centrafrique, Burkina Faso) au profit de nouveaux acteurs (Russie, États-Unis, Chine, Turquie...). Et le Maroc d’aujourd’hui a fait un saut qualitatif en termes doctrinal et opérationnel, qui fait que désormais, le retour à la situation antérieure est tout simplement impossible.
La reconnaissance américaine a été gravée dans le marbre, et Sa Majesté le Roi a clairement tracé une ligne rouge de non-retour, en annonçant lors du discours adressé à la Nation à l’occasion du 69ème anniversaire de la Révolution du Roi et du peuple en ces termes:
«Compte tenu de ces développements positifs impliquant des pays de tous les continents, Je voudrais adresser un message clair à tout le monde: le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit.
... S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, Nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque».
Ainsi, le mieux pour la France serait d’éviter de brandir son bâton, car un retour de bâton n’est pas à exclure. Quant à la carotte, sa place est dans un champ ou sur un étal de marché, et non dans un cadre diplomatique où, comme l’a rappelé le Souverain, nos partenaires se devront d’évacuer toute ambiguïté en faisant preuve de clarté et de réalisme.