Comment Tebboune a évité in extremis sa destitution par les militaires

Abdelmadjid Tebboune s'adresse aux Algériens dans une vidéo postée sur Twitter, le 13 décembre 2020. 

Abdelmadjid Tebboune s'adresse aux Algériens dans une vidéo postée sur Twitter, le 13 décembre 2020.  . DR

Au moment où tout laissait présager que l’Algérie se dirigeait vers la recherche d’un remplaçant au président Tebboune, ce dernier s’est fait remarquer par une apparition-surprise sur twitter. Autopsie d’un bras de fer inégal entre un président très affaibli par la maladie et ses généraux.

Le 16/12/2020 à 11h34

Abdelmadjid Tebboune est bien vivant. Il peut même s’asseoir et parler. C’est là le premier message important que l’on peut tirer de sa sortie de dimanche dernier via Twitter, où il s’est exprimé dans une vidéo d’à peine cinq petites minutes. Mais l’homme, métamorphosé et très affaibli physiquement, est loin d’être remis de la maladie qui l’a contraint à s’éclipser totalement pendant 59 jours d’affilée. Cette apparition de Tebboune est d’autant plus inattendue, qu’elle peut être assimilée à celle d’un mort se réveillant au moment où on s’apprêtait à l’enterrer.

Ce qui a d’abord intrigué tous les observateurs, c’est que le président algérien a zappé le canal officiel, à savoir la télévision d’Etat algérienne. Il a choisi de s’exprimer directement sur le réseau social twitter, en se faisant filmer (probablement) par des proches. En tout cas, cette sortie sur Twitter est une première, mais aussi une hérésie dans une Algérie où tous les présidents apparaissent et s’expriment d’abord sur la chaîne de télévision officielle.

Le recours à ce canal ne répond pas à un choix, mais à une contrainte. Tebboune et son entourage craignaient un blocage ou des manipulations sur les chaines officielles. Ce qui laisse augurer qu'un putsch médical était imminent et que les militaires s'apprêtaient à le «démissionner», en lui substituant un autre homme de paille, très probablement Ramtane Lamamra. D’ailleurs, ces derniers jours, les hauts gradés de l’armée (états-majors des différents corps de l’armée et de la gendarmerie, services des renseignements, commandants des régions militaires) ont organisé de multiples réunions marathoniennes depuis le milieu de la semaine dernière. Il s’agissait bien évidemment pour la grande muette algérienne de planifier des manœuvres, non pas militaires, mais politiques, à la lumière de l’absence prolongée de Tebboune.

Les militaires craignent en effet un retour de Tebboune sur un fauteuil roulant, avec tout ce que cela comporte comme risque évident de faire réveiller le hirak. Ils auraient même poussé plusieurs personnalités civiles à exiger, à travers les médias, la mise à l’écart de Tebboune. C’est dans ce cadre-là qu’est intervenue la proposition de l’ancien patron de la Banque d’Algérie, Hadj Nacer, appelant à confier d’urgence la gestion du pays à un Comité de sages. D’autres hommes politiques lui ont emboîté le pas pour parler tantôt d’un gouvernement de transition proposé par Rachid Nekkaz, tantôt d’un gouvernement provisoire d’union nationale proposé par l’islamiste proche des militaires, Abderrazak Makri.

C’est probablement en réponse à ces préparatifs visant à l’évincer que Tebboune a refait surface d’urgence sur Twitter. Son bref discours n’est pas important en lui-même, puisqu’il n’est pas l’objet réel de sa sortie. D’ailleurs, il ne s’agit que d’un bavardage incohérent sur les affaires d’un pays dont il est absent depuis deux mois, d’où son lapsus ou indice de l’invalidité sur la loi de Finances 2020 (au lieu de 2021).

Son objectif premier, en prenant de court les services de renseignement algériens toujours aussi aveugles, est de se légitimer à l’international. Sa colère contre tous ceux qui sont au sommet de l’Etat algérien est manifeste. Le fait qu’il ait fait l’impasse dans son discours sur le Premier ministre Abdelaziz Djerad, son subordonné direct, et le chef d’état-major de l’armée, son mentor, le général Said Chengriha, est révélateur d’une rupture avec ces derniers.

Il faut rappeler que Chengriha a indirectement montré lui aussi sa colère contre le message de Tebboune. Dimanche, lors du Journal télévisé de 20h, la télévision publique algérienne a ouvert sur une activité sportive, une finale entre deux équipes militaires de football, présidée par le chef d’état-major. La vidéo du président de la République, chef suprême des armées, ministre de la Défense…, a été, elle, reléguée en deuxième position. Subordonner le chef de l’Etat à un match de football entre militaires, dans une chaîne nationale, est à lui seul un indicateur, qui ne trompe pas, sur l’irritation des généraux à l’égard du président malade.

Placer hiérarchiquement le président Tebboune derrière un banal match de football, mais qui met en jeu des militaires, est également un indice qui montre que le recours à Twitter par le cercle présidentiel a permis probablement d’éviter une non-transmission de la réapparition du chef de l’Etat algérien sur les chaines de télévision nationales.

Il n’en demeure pas moins que les généraux algériens vont devoir composer quelque temps encore avec un président en sursis. Ils vont conserver, dans l’immédiat, Tebboune sur son fauteuil, soit-il roulant, pour faire passer des textes urgents: paraphe de la constitution en vue de son entrée en vigueur, signature de la loi de Finances 2021, et adoption de la nouvelle loi électorale qui servira de base aux prochaines élections législatives et municipales en Algérie.

D’ailleurs, les généraux viennent de signer en son nom un message de félicitations, très tardif, adressé au nouveau président américain, Joe Biden, élu le 7 novembre dernier, en mettant à profit le petit sursis qu’ils comptent accorder à Tebboune. Pour combien de temps encore?

Par Mohammed Ould Boah
Le 16/12/2020 à 11h34