Le 20 janvier, Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture, et son homologue aux Finances, Mohamed Boussaid, signent une convention avec SAHAM pour une nouvelle assurance destinée aux agriculteurs visant àcouvrir les répercussions des aléas climatiques.
Les deux ministres signataires sont issus du même parti, le RNI. SAHAM est le groupe de Moulay Hafid Elalamy qui a fait son entrée au gouvernement Benkirane sous la même couleur politique. Le montant de la convention, lui, dépasse le milliard de dirhams. Et l’entrée en vigueur était prévue, au lendemain de la signature: le 21 janvier.
Dès lors, on assiste à une levée de boucliers. D’abord au Parlement où le député USFP Mehdi Mezouari adresse une question d’actualité au gouvernement pour demander s’il n’y avait pas de conflit d’intérêt suivant les dispositions de la Constitution (Article 36) et celles de la loi organique relative au fonctionnement et à l’organisation du gouvernement.
Le 22 janvier, le groupe socialiste à la première chambre du Parlement adresse carrément une lettre au président Rachid Talbi Alami demandant la constitution d’une commission d’enquête. Dans cette requête, l’USFP est appuyé par le PAM. D’ailleurs, le député PAMiste Abdellatif Ouahbi a déposé, au nom du groupe parlementaire de son parti, une demande pour convoquer trois ministres devant la Commission permanente de contrôle des finances publiques.
Machine arrière!
Dans la soirée du samedi 23 janvier, le département de l’Agriculture diffuse un communiqué pour préciser que la nouvelle offre d’assurance au profit des agriculteurs n’était pas l’exclusivité de SAHAM Assurance et que tout opérateur qui le désirait pouvait y prendre part par le biais d’une convention.
Le lendemain, c’est SAHAM Assurance qui annonçait, dans un communiqué signé par son PDG Ahmed Mehdi Tazi, la suspension de l’application de la convention du 20 janvier jusqu’à l’adhésion des autres opérateurs du secteur.
«SAHAM semble agir en terrain conquis. Elle s’autorise de faire une telle annonce à la place du gouvernement et se permet même de parler au nom de tout le secteur», réagit le député Mehdi Mezouari dans des déclarations à Le360.
M.H. Elalamy, silencieux jusque-là, fait une timide sortie chez nos confrères des Echos pour dire qu’il n’avait rien à voir avec ladite convention et que ce sont les cadres de SAHAM qui ont tout piloté vu qu’il avait pris ses distances depuis sa nomination en tant que membre du gouvernement.
«Marche arrière ou non, le problème demeure aux niveaux politique et éthique. Là, nous sommes en présence d’un ministre qui a tout ficelé à l’insu du chef du gouvernement», explique le député PAMiste Abdellatif Ouahbi.
Juste après, la FMSAR (Fédération marocaine des sociétés d’assurance et de réassurance) rompt le silence à son tour pour dire que d’autres opérateurs étaient prêts à signer la même convention paraphée par SAHAM. Mais cela ne résout pas le problème du conflit d’intérêt, et dédouane encore moins M.H. Elalamy.
A l’insu de Benkirane?
Tout porte à penser que la préparation de cette convention a été faite loin des yeux du chef du gouvernement. Preuve en est que le PJD, généralement très regardant sur ce genre d’affaires, fait profil bas. «La préparation d’une telle convention nécessite un travail d’évaluation qui doit précéder le lancement d’un appel d’offre ouvert à tous les opérateurs», commente Mehdi Mezouari qui s’étonne du lancement d’un produit le lendemain de la convention l’instaurant. Or, l’autre zone d’ombre qui pèse lourdement sur ce dossier est l’absence d’un appel d’offre.
«Tout porte à croire que tout a été préparé à l’avance. Aujourd’hui, nous demandons à être éclairés sur cette affaire et sur toutes les conventions liant SAHAM aux établissements publics», conclut Mehdi Mezouari qui parle d’une éventuelle «SAHAM Gate».
Le député ajoute que le rétropédalage de SAHAM ne signifie pas le classement du dossier. Il précise à ce sujet qu’une requête pour la constitution d’une commission d’enquête a été déposée au Parlement.
L’avis des assureurs
Du côté des professionnels, certains osent se démarquer de la riposte de la FMSAR pour apporter un éclairage légal qui remet en cause la convention du 20 janvier. «Pour commercialiser des produits d’assurance agricole couvrant les risques climatiques, il faut au préalable disposer d’un agrément spécifique avant de signer une convention et de commercialiser ce type de produits. Ce qui n’est pas le cas pour SAHAM Assurance», explique un grand assureur de la place, sous le sceau de l’anonymat.
Notre interlocuteur affirme que c’est la subvention publique qui pose problème du moment que «la grande agriculture industrielle et la moyenne agriculture trouvent sur le marché des produits d’assurance spécifiques, sauf pour la sécheresse et l’inondation».
«C’est à la Fédération des sociétés marocaines d’assurance et de réassurance (FSMAR) de fédérer et de mettre en place un produit commun à toutes les compagnies d’assurance et qui colle avec les demandes de l’Etat», tranche cet assureur.
En un mot comme en mille, la «SAHAM Gate» ne fait que commencer.