Après le coup raté de Wagner, la chevauchée des Walkyries?

Rachid Achachi.

ChroniqueDans les événements récents en Russie, les puissances occidentales ont perçu une sorte de momentum qu’il s’agit de ne pas rater. Une fragilité vraie ou fausse du pouvoir russe, dont il s’agit pour l’Occident de profiter au maximum.

Le 30/06/2023 à 10h00

Le week-end dernier, tous les yeux étaient rivés sur la Russie. Plus précisément, sur la capitale russe, puisque c’est à environ 200 km de Moscou que quelque milliers d’hommes de la compagnie militaire privée « Wagner », se sont arrêtés après avoir traversé plusieurs centaines de kilomètres en provenance du Donbass.Puis, contre toute attente, ces derniers ont décidé de rebrousser chemin suite à un accord trouvé in extremis grâce à l’intervention salutaire du président biélorusse, Alexandre Loukachenko.

Mais si en apparence l’info paraît exotique et lointaine de la réalité marocaine, la réalité est cependant tout autre, car jamais l’effet papillon n’a été autant d’actualité qu’aujourd’hui.

L’effet papillon c’est pour le dire simplement, l’idée selon laquelle un évènement en apparence minime ou insignifiant peut au bout d’une chaîne causale provoquer des évènements catastrophiques, ou du moins inattendus.

Puisque dans ce cas de figure, nous ne parlons pas d’un micro-État au fin fond du Pacifique, mais de la première puissance nucléaire mondiale, avec tout ce qu’un chaos dans ce pays peut impliquer pour le reste du monde.

Mais tout d’abord, que s’est-il réellement passé?

Deux thèses fondamentalement opposées ont été avancées.

La première est celle d’une «Maskirovka». Cette expression russe, issue de la doctrine militaire soviétique, désigne ce qu’on pourrait qualifier de « brouillard de guerre ». Autrement dit, le fait de mener une opération qui laisserait croire à l’ennemi une intention donnée, mais qui en réalité, vise à cacher d’autres intentions. Les stratèges chinois désignent poétiquement cette approche, en disant qu’il s’agit d’avancer caché à la lumière du jour.

En l’occurrence, les tenants de cette thèse avancent l’idée que la rébellion de Wagner était au fait une grande opération de désinformation, qui vise à camoufler le fait que la Russie vise en réalité à redéployer les troupes de Wagner en Biélorussie, afin de pouvoir attaquer Kiev par surprise. Car la distance qui sépare la frontière biélorusse de Kiev est d’à peine 100 km.

La thèse ne tient pas debout pour une multitude de raisons qu’on ne va pas étayer ici.

Par contre, ce qui est certain, c’est que les puissances occidentales y ont perçu une sorte de momentum qu’il s’agit de ne pas rater. Une fragilité vraie ou fausse du pouvoir russe, dont il s’agit pour l’Occident de profiter au maximum.

Premièrement, du côté polonais, savoir que quelques milliers de mercenaires russes ultra-aguerris puissent se trouver à côté de leurs frontières n’est pas forcément de nature à rendre leur sommeil plus tranquille. En effet, les ambitions des faucons polonais dépassent de loin les frontières du pays de Chopin. Ces derniers tentent depuis des années de donner vie au projet de l’«intermarium» ou de l’initiative des trois mers (mer Baltique, mer Adriatique et mer Noire), qui vise à créer, avec l’aide de Washington, un grand espace géopolitique dont la Pologne serait le noyau dur, et qui viserait en même temps à contre-balancer le poids de l’Allemagne au coeur du continent européen, tout en créant une sorte de glacis géopolitique face au monde russe.

Cependant, deux obstacles s’opposent à cette ambition américano-polonaise. Le premier est l’enclave russe de Kaliningrad, qui se trouve au beau milieu de cet espace géopolitique souhaité par Varsovie.

Le deuxième est la Biélorusse qui, en étant un allié fidèle de Moscou, constitue la seconde partie d’une tenaille, dont l’autre bout est l’enclave de Kaliningrad. Ainsi, tant que Minsk demeure un allié inconditionnel de Moscou, le projet de l’«intermarium» demeurera difficilement réalisable. D’où le fait que les récentes tentatives de déstabilisation du pouvoir biélorusse ont été coordonnées à partir de la Pologne et des pays baltes, où réside l’essentiel de l’opposition biélorusse.

Cela m’amène à poser l’hypothèse suivante, celle d’une escalade du conflit ukrainien, à travers l’entrée ouverte en guerre de la Pologne. Pas contre la Russie, évidemment, mais contre la Biélorussie, dans ce qui sera présenté par le narratif officiel comme une guerre préventive face à un État qui hébergerait un groupe que l’Occident qualifie de terroriste, à savoir la compagnie de mercenaires « Wagner ».

Mais dans ce scénario, quid de l’OTAN et de la Russie?

Officiellement, en cas d’entrée en guerre de la Pologne, l’OTAN n’est pas tenue officiellement de lui porter assistance, puisque l’article 5 du traité stipule que si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué.

Or, si le conflit est initié et non subi par un membre de l’alliance, l’article 5 ne s’applique pas.

De l’autre côté, la Biélorussie est liée par un traité de sécurité et d’assistance militaire mutuelle avec la Russie. Ce qui implique de fait une obligation de Moscou de venir en aide à son allié. La Russie a peut-être récemment tenté d’anticiper ce scénario à travers un schéma de dissuasion absolu, en déployant des armes nucléaires tactiques sur le territoire biélorusse. Une sorte de ligne rouge destinée à dissuader la Pologne de tout aventurisme militaire. Cependant, ce n’est pas sûr que cela suffise. Mais face à un échec éventuel, voir probable de la contre-offensive ukrainienne, il n’est pas exclu que l’OTAN n’opte pas pour un schéma d’escalade, en poussant la Pologne à passer à l’acte.

Ces scénarios ne doivent aucunement être pris à la légère, vu l’immensité des conséquences que cela impliquera pour l’économie mondiale (prix de l’énergie, stabilité financière…).

Ce qui est certain, c’est que cet été risque d’être plus chaud que prévu, autant climatiquement que géopolitiquement.

Par Rachid Achachi
Le 30/06/2023 à 10h00