Le 29 août 2023, une date que la famille Mchiouer ne pourra jamais oublier. Ce jour-là, en compagnie de ses trois amis Bilal Kissi, Mohamed Kissi et Ismaïl Snabi, Abdelali Mchiouer s’est égaré en mer, à bord d’un jet-ski, du côté de l’espace maritime algérien limitrophe de Saïdia. Le périple du quatuor s’est achevé sous les tirs nourris de la marine algérienne. Bilal Kissi et Abdelali Mchiouer tombent sous les balles, Ismaïl Nabi est arrêté par les gardes-côte algériens, alors que Mohamed Kissi réussit miraculeusement à les fuir, avant d’être récupéré par une embarcation de la Marine royale marocaine.
Si le corps de feu Bilal Kissi a été retrouvé par la Marine royale, la dépouille d’Abdelali a quant à elle été repêchée par les autorités algériennes et placée à la morgue de Tlemcen. Elle y est retenue depuis, empêchant le deuil de sa famille et de ses proches qui continuent à se battre pour son rapatriement au Maroc, assistés par leurs avocats.
Lors d’une conférence de presse, organisée ce mardi 26 septembre à Casablanca par les familles Mchiouer et Kissi, Me Hakim Chergui, l’un des deux avocats mandatés par la famille Mchiouer, a exposé avec clarté la dualité du drame: d’un côté, le chagrin insurmontable d’une perte, et de l’autre, l’injustice d’une attente prolongée pour le droit d’enterrer l’être perdu.
«L’affaire se présente en deux volets. D’une part, il y a le dossier de Bilal, déjà mis en terre, et pour lequel une plainte a été déposée à Paris pour assassinat, tentative d’assassinat, détournement de navire et non-assistance à personne en péril. Nous sommes dans l’attente des retours pour discerner la tournure que prendront ces investigations», a-t-il noté.
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Et de poursuivre: «La quête de vérité a débuté, mais certaines conclusions semblent déjà émerger, notamment au travers du déconcertant communiqué du ministère de la Défense algérien. Ce dernier s’apparente plus à une ineptie intellectuelle. C’est un aveu de crimine sur ces faits. S’agissant maintenant de la famille Mchiouer et de la restitution du corps de Abdelali, qui est toujours détenu par les autorités militaires, les démarches ont été enclenchées le 8 septembre et se sont poursuivies jusqu’au 15 du même mois. Le consulat marocain a fait tout le nécessaire exigé par les autorités algériennes».
Toutefois, la frustration est palpable: «Pour l’instant, cela fait plus d’une semaine que nous attendons une réponse des autorités militaires algériennes. Nous sommes dans une situation qui s’apparente à un blocage, mais qui ne veut pas dire que les autorités algériennes refusent de restituer la dépouille. Il est encore un peu tôt pour le dire. Nous ne pouvons pas être péremptoires sur ça. En revanche, nous constatons une absence totale de volonté politique de résoudre ce conflit de la manière la plus saine possible», précise l’avocat.
Saisie d’un Rapporteur spécial de l’ONU
En insistant sur les voies légales et les efforts internationaux pour résoudre cette impasse, Me Chergui a annoncé que la défense avait saisi, il y a quelques jours, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires pour mener une enquête. «L’heure est à l’intensification de notre combat sur la scène internationale. Il est inconcevable de rester indifférent, en 2023, face à la disparition brutale de vacanciers innocents, victimes des balles d’une armée aguerrie. Nous allons ouvrir et actionner toutes les voies de droit international qui sont possibles pour que justice soit faite», a-t-il insisté.
Également présent lors de la conférence de presse, Mostafa Mchiouer, le père endeuillé, n’a pas manqué d’exprimer son chagrin. Son témoignage, poignant, révèle une immense douleur, amplifiée par le refus des autorités algériennes de rendre le corps de son fils.
«C’est une douleur incommensurable qui a envahi mon cœur depuis ce jour fatidique. Je lance un appel aux autorités concernées pour qu’elles fassent preuve d’humanité et de compassion envers notre famille. Mon fils mérite d’être traité avec respect, même dans la mort», a-t-il confié, espérant «se réveiller d’un cauchemar sans fin». Marwa Mchiouer, sœur d’Abdelali, est quant à elle submergée par l’émotion. Incapable de s’exprimer, ce sont ses larmes qui parlent pour elle.
Noria Yatim, cousine de la victime, a de son côté appelé à la compassion. Elle évoque une souffrance exacerbée par l’impossibilité de rendre un dernier hommage à Abdelali. «J’espère que les autorités algériennes vont faciliter la procédure de rapatriement du corps d’Abdelali. Cette situation plonge sa famille dans une douleur supplémentaire, car elle est incapable de lui offrir une sépulture digne et de lui rendre un dernier hommage», a-t-elle déclaré.
Au-delà des frontières, des querelles et des tensions politiques, s’impose la profonde douleur d’une famille, dans toute son humanité. Une famille qui ne demande qu’une chose: pouvoir dire adieu à l’être perdu, et rendre, peut-être, le deuil possible.