Il est donc des promesses électorales qui n’engagent pas que ceux qui les reçoivent… Engagement de la coalition entre le PSOE et SUMAR en 2023, le projet de reconnaître la Palestine fut réitéré par Madrid au printemps dernier, par une lettre cosignée avec l’Irlande, la Slovénie et Malte. Il y est écrit que «le seul moyen de parvenir à une paix et à une stabilité durables dans la région est de mettre en œuvre une solution à deux États, avec des États israélien et palestinien vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité». L’Espagne confirme finalement cette reconnaissance, ce 22 mai, aux côtés de l’Irlande et de la Norvège, pays symbolique dans la gestion du conflit israélo-palestinien, puisqu’Oslo fut la ville qui accueillit, en 1993, Rabin et Arafat, signataires d’accords éponymes, lesquels faisaient naître un espoir de paix et posaient les jalons des deux États. C’est dans cet esprit que les trois pays européens inscrivent aujourd’hui leur initiative, pariant de faire tache d’huile sur leur continent… Mais salué par le Hamas, et condamné par Israël, ce geste symbolique pose, sur la rive nord de la Méditerranée, plus de questions qu’il ne résout de problèmes…
Est-ce le moment, pour un pays européen, d’engager une reconnaissance de l’État palestinien? Sans aucun doute, au regard à la fois, de l’agenda diplomatique et des initiatives menées en avril au Conseil de sécurité, puis en mai en Assemblée générale, pour l’admission de l’État palestinien à l’ONU, du peu d’outils à disposition des Européens pour peser sur un conflit qui dure depuis huit mois, et surtout d’une promotion de deux États comme unique voie vers la paix, pour Israël comme pour les civils palestiniens.
Une «voix pour deux États» à porter d’autant plus fort, et plus loin, que se renforce dans les deux camps, y compris sur sol européen, une radicalité qui menace aussi bien l’existence de la Palestine que celle de l’État juif! La reconnaissance de l’un ne devrait autoriser aucune ambiguïté quant à l’existence de l’autre… À rebours des images des dernières semaines: siège des universités de la vieille Europe, bêtise des étudiants propalestiniens, à Paris ou à Bruxelles, censurant Élie Barnavi (diplomate israélien devenu le meilleur ambassadeur de la reconnaissance de la Palestine), une «rue européenne» scandant le slogan d’une Palestine «du Jourdain à la Méditerranée», frontières d’avant 1948 devenues en 2024 promesses de campagne des partis de la gauche radicale européenne, lesquels, en Espagne, jouent déjà la surenchère, au lendemain du geste de leur Premier ministre… Si, dans la langue française, le mot reconnaissance est polysémique, «se reconnaître débiteur» en période électorale n’est jamais bon signe.
Est-ce le moment pour l’Europe de s’engager collectivement à reconnaître la Palestine? Assurément, il eût été plus impactant de parler d’une seule voix depuis Bruxelles. Mais cette reconnaissance par deux États seulement (la Norvège n’est pas membre de l’UE), qui s’ajoute à neuf autres, souligne encore les divisions entre Européens sur le conflit israélo-palestinien. La fracture s’intensifie depuis le 7 octobre, et les positions se durcissent en réaction à la demande simultanée de mandats d’arrêt du procureur de la CPI contre des dirigeants du Hamas d’une part, contre Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense d’autre part, et met en évidence la faiblesse de l’UE sur ce dossier. Aucune initiative à 27 n’est possible.
Parmi ceux qui pourraient venir grossir les rangs, la Slovénie est attendue prochainement, Malte sans doute... mais aucun des autres acteurs de l’Euro-Méditerranée. Le Portugal a bien donné un signe positif lors de son vote à l’ONU, mais a déjà prévenu que la reconnaissance n’était pas à l’ordre du jour.
Quant à la France, attendue au Proche-Orient, réclamée même, dans une tribune récente du journal Le Monde, à l’initiative de Nadia Benjelloun, et à la belle présence marocaine, mêlant intellectuels et artistes, dont Fouad Bellamine et Abdellatif Laâbi, soulignant le «rôle essentiel de la France dans le processus de reconnaissance»… Paris estime que les conditions ne sont pas réunies «à ce jour pour que cette décision ait un impact réel» vers la mise en œuvre d’une solution à deux États. Il est urgent d’attendre...
À ce rythme de reconnaissance de la Palestine, l’Europe apparaît non seulement divisée, mais bientôt isolée au plan international, où 143 pays sur 193 ont déjà franchi le pas… Paradoxe d’une Union européenne par ailleurs premier soutien financier des Palestiniens!