L’automne 2024, dans le fracas médiatique provoqué par l’arrestation en Algérie de Boualem Sansal, un visage encore anonyme s’invite soudain sur les écrans français. On le présente, avec un sérieux appuyé, comme «historien», ce qui s’avérera faux. France 5 le convie parmi les premiers à commenter l’événement. Né en France, mais prompt à la vilipender, Nedjib Sidi Moussa décroche alors son quart d’heure «de haine»: la sociologue Florence Bergeaud-Blackler le traite de «pauvre con» sur X, et le dessinateur Xavier Gorce d’«égorgeur en puissance» dans le JDD. En ligne de mire son «réquisitoire» lâché au moment où l’écrivain risquait la prison: «arbitraire et injustifiée», concède-t-il à propos de l’incarcération. Puis, très vite, il change de sujet. L’essentiel, insinue-t-il, se jouerait ailleurs. Dans «les propos» de Sansal, dans son supposé alignement idéologique, car c’est un auteur «d’extrême droite qui reprend tous les thèmes de Zemmour».
Et le faux historien d’entraîner le plateau vers un débat sur le racisme en France. Ce jour-là, il détourne l’attention du public. La répression algérienne, pourtant au cœur du débat, passe au second plan. La France découvre sa frimousse de limier au vernis courtois, enrôlée dans la cohorte des Franco-algériens qui, sur les antennes, condamnent Sansal sans procès et éludent la dictature d’Alger. Condamner la répression… tout en sapant la crédibilité morale de celui qui la subit. Le geste est habile, presque chirurgical. On le retrouvera, décliné, dans chacune de ses prises de parole.
En avril 2025, sur le blog gauchiste Left Renewal, il franchit un cap. Reprenant une thèse complotiste proférée par le président Tebboune, il accuse la France d’avoir «choisi l’Algérie pour le grand remplacement». Dans cette mécanique délirante, il laisse entendre que Kamel Daoud aurait reçu le Goncourt «parce qu’il avait plus de chances d’obtenir le soutien d’entités proisraéliennes établies en France que de groupes propalestiniens». La littérature s’y trouve ravalée au rang de transaction politique, l’engagement intellectuel réduit à une monnaie d’échange. L’attaque, cynique et creuse, dévoile une grille de lecture où tout n’est plus que rapport de forces identitaires.
Un historien autoproclamé à la méthodologie bancale
Mais qui est donc ce Sidi Moussa, né à Valenciennes, ami — comment pourrait-il ne pas l’être? — de Benjamin Stora? Derrière l’étiquette universitaire, l’illusion se dissipe vite. Sidi Moussa n’est pas historien de formation: il est titulaire d’un doctorat en science politique. Une discipline respectable, certes, mais qui n’a rien à voir avec la formation d’un historien, distincte dans ses méthodes et exigences. Il manque de rigueur méthodologique historique et n’a jamais été accepté en tant qu’enseignant dans une université (hormis 2 lignes sur son CV comme vacataire de travaux dirigés qui n’ont pas suffi à lui ouvrir les portes d’un poste stable). Loin des médias, le voile se lève: il est l’enseignant contractuel (vacataire) en histoire-géographie et en EMC (enseignement moral et civique) dans le secondaire, trimbalé d’année en année dans des collèges en banlieue parisienne, même pas des lycées! Pas de chaire, pas de titre professoral, pas de reconnaissance académique: sa note administrative le disqualifie sans doute pour tenter l’agrégation.
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Cette fragilité institutionnelle transparaît dans sa production intellectuelle. Son ouvrage «Algérie, une autre histoire de l’indépendance» (PUF, 2019), puise dans la saga familiale. Il s’attache aux messalistes dont, dit-il, sa parentèle est issue, partisane de Messali Hadj et marginalisée par le FLN dans les années 1950-60. La démarche, au lieu de s’appuyer sur des sources primaires solides, tient davantage du roman familial que de la recherche historique. Les figures familiales y sont enchâssées comme dans une fresque destinée à légitimer le nom du père dans l’historiographie nationale, incrustant des biographies dans le récit mythique, un peu comme le font les Algériens d’Algérie dont une majorité désormais possède une généalogie factice avec au moins un ascendant mythologique, un grand-père, un oncle, un cousin germain moudjahid, ayant joué un rôle de premier plan.
En toile de fond, une scène plus intime: celle de ces Algériens nés en France qui transforment leur itinéraire en névrose identitaire. Ni Français, ni Algériens — et surtout pas l’un ni l’autre — ils portent une croix sépulcrale: celle du père absent, irrémédiablement perdu quelque part en Algérie. Chez Sidi Moussa, cette croix pèse sur chaque phrase, comme un poids tenace.
Les sources manquent, les preuves vacillent. Le résultat, orienté et personnel, se présente comme un travail savant, mais n’en a ni l’épaisseur ni la neutralité. Loin d’être un historien objectif, Sidi Moussa apparaît comme un intellectuel militant, dont les prises de position reflètent une quête identitaire et une fidélité maladive au discours officiel algérien.
L’indépendance «temporaire»
Dans ses livres, la dictature post-1962 devient «l’indépendance (temporaire)» — un concept forgé sur mesure pour atténuer la brutalité du régime militaire algérien. Certes, il concède de vagues «tendances autoritaires» au pouvoir, mais s’empresse de les replacer dans un continuum où la colonisation française devient la cause première, presque l’excuse, des dérives de Boumediene et de ses successeurs.
La rhétorique est familière: minimiser les crimes d’un régime au nom d’une histoire plus large, complexifier à l’excès pour diluer la responsabilité. Dans cette posture, on reconnaît l’ombre tutélaire de Benjamin Stora. Comme lui, Sidi Moussa invite à «pardonner» ou, du moins, à regarder ailleurs. Les années Boumediene (1965-1978) deviennent, sous sa plume, l’épisode d’une révolution certes autoritaire, mais nécessaire, dont les excès devraient être contextualisés plutôt que condamnés. C’est l’art de l’édulcoration: transformer une dictature en anecdote historique, gommer les aspérités, réécrire les bilans à l’encre de l’indulgence.
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Et que dira l’historien imposteur aujourd’hui de Christophe Gleizes, ce journaliste condamné à sept ans de prison à Tizi-Ouzou pour «apologie du terrorisme», au terme d’un procès où l’enquête journalistique fut assimilée à une menace politique? On l’a peu entendu lorsque s’imposaient courage, clarté et simple solidarité avec un compatriote. Mais Nedjib Sidi Moussa se sent-il français? Prompt à pourfendre Daoud ou Sansal, il se terre dès qu’il faut nommer la peur et le pouvoir. Sa boussole morale, décidément, s’affole à l’approche d’Alger. Sur les exactions du pouvoir et la corruption des caciques, Sidi Moussa cultive l’ellipse, comme s’il redoutait d’abîmer l’icône d’État qu’il protège.
Sur le Sahara, la voix d’Alger
En 2025, Sidi Moussa franchit un nouveau territoire idéologique: celui du Sahara marocain. Dans les médias, il reprend sans nuance la position algérienne: soutien au front Polisario et dénonciation d’une «colonisation marocaine» des territoires sahariens. Là encore, pas de confrontation des thèses, pas de mise en perspective comme doit le faire tout historien rigoureux et impartial. Cette omission n’est pas un oubli: c’est une méthode. Comme Stora, Sidi Moussa se garde bien de troubler le narratif d’Alger. La cartographie et les archives coloniales qui contredisent la version algérienne? Purement et simplement passées sous silence. Le Sahara n’est pas pour lui un objet d’étude, mais un champ de bataille idéologique. L’histoire y est réduite à une arme de propagande, maniée avec le même aplomb que dans ses attaques contre Sansal et Daoud. Et peu importe si, pour ce faire, il faut raturer les contradictions, effacer les voix dissidentes, ou transformer la recherche en instrument de combat.
L’ombre qui reste
Jamais tout à fait menteur, mais jamais vraiment franc; jamais totalement propagandiste, mais rarement chercheur. Sidi Moussa incarne cette communauté d’Algériens nés en France qui font de leurs études le miroir d’une blessure: identité détraquée, père introuvable, Algérie fantasmée pour solder un compte intime. On les voit proliférer sur YouTube, «historiens» du dimanche, stigmatiser la France pour s’offrir un récit d’eux-mêmes — ni d’ici, ni de là-bas, mais adossés à une absence.
Derrière la façade savante, il y a cette ombre — tenace, muette, obstinée — qui s’infiltre dans chaque ligne. Elle ne parle pas, mais elle signe à sa place. Désormais, il s’efface. Plus d’interviews, plus de débats télévisés, seulement ce retrait prudent, presque animal, comme si le silence pouvait racheter l’excès. Il attend que la tempête passe. Mais Madjid Sidi Moussa sait, au fond, que lorsque le calme reviendra, ce ne sera pas la lumière qui l’attendra: seulement cette ombre, agrandie, figée, comme un portrait définitif.












