Mandats d’arrêt, refus d’accès et humiliations: la France intensifie ses frappes contre l’Algérie

Les drapeaux français et algérien. (Photo d'illustration)

Après les premières mesures décrétées par le président Macron contre l’Algérie, Paris entend frapper plus fort avec une nouvelle série de sanctions contre le régime et ses tenants, laissant Alger un peu plus exsangue dans un bras de fer diplomatique perdu d’avance. Les mesures sont ciblées, juridiques, européennes. Elles tapent là où cela fait le plus mal, dans le confort international de la cleptocratie voisine. Les voici en détail.

Le 14/08/2025 à 12h23

L’été 2025 marque un tournant brutal dans les relations franco-algériennes. Et ce n’est pas fini. Sur fond de tensions persistantes suite à reconnaissance par Paris de la souveraineté du Maroc sur son Sahara et de chantage à l’immigration et refus algérien de coopérer, notamment sur les expulsions de ressortissants sous OQTF, la France enclenche une nouvelle série de mesures contre la nomenklatura.

On s’en souvient, mercredi 6 août. Dans une lettre adressée au Premier ministre et publiée par le quotidien Le Figaro, le président français a listé une première salve de décisions contre le régime voisin. Les plus notables sont la suspension officielle de l’accord de 2013 relatif à l’exemption de visa pour les passeports officiels et diplomatiques et l’activation du levier visa-réadmission (LVR) qui permet de refuser les visas de court séjour aux détenteurs de passeports de service et diplomatiques. Mieux, la mesure vaut également pour les visas de long séjour «à tous types de demandeurs». Emmanuel Macron a séance tenante européanisé la crise avec l’Algérie en appelant à une collaboration entre tous les pays de l’espace Schengen pour éviter un contournement de ces mesures par les dirigeants algériens, notamment via l’Italie. En parallèle, le quotidien Le Monde nous apprenait que Salaheddine Selloum, ex-premier secrétaire de l’ambassade d’Algérie à Paris et sous-officier de la DGDSE (services secrets extérieurs algériens), est visé par un mandat d’arrêt international pour enlèvement, séquestration et association de malfaiteurs à visée terroriste dans l’affaire du cyberactiviste Amir DZ.

Un nouveau mandat d’arrêt, un millier de dirigeants non gratæ

Aujourd’hui, il y a du nouveau et de nouvelles mesures sont dans le pipe, révèle le bien informé journaliste Mohamed Sifaoui, connu pour être des plus introduits dans les cercles du pouvoir français. C’est ainsi que nous apprenons qu’un second mandat d’arrêt sera émis dans les heures à venir. Cette fois, contre Mohamed Bouaziz, colonel de la DGDSE opérant sous couverture en tant que consul adjoint à Créteil, également impliqué dans cette affaire. Les deux sont désormais recherchés par Interpol via notice rouge. Une première et une «véritable honte pour un pouvoir d’avoir deux membres de ces services secrets recherchés par la justice pour une crapuleuse histoire», note le journaliste et écrivain franco-algérien.

Après la suspension de l’exemption de visas et le levier «visa-réadmission», Sifaoui nous apprend également qu’une liste «évolutive» d’un millier de responsables algériens désormais persona non grata en France. «Dans trois semaines, le temps de la procédure administrative, ils seront indésirables dans toute l’Europe. Leurs visas, le cas échéant, sont annulés», précise la source.

La quasi-totalité des figures de proue du pouvoir algérien est concernée. Sont visés: l’intégralité des membres du gouvernement, Premier ministre compris, à une exception près – ou plutôt cinq. Échappent à la mesure le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf, le secrétaire général des Affaires étrangères Lounès Magramane, le secrétaire d’État chargé de la communauté algérienne à l’étranger Sofiane Chaïb et deux autres hauts fonctionnaires du même ministère. Ils sont encore tolérés, car directement impliqués dans des discussions bilatérales en état de survie artificielle.

À la présidence, la sentence est sans appel. Tous les conseillers sont désormais persona non grata, sans exception. Parmi eux, Boualem Boualem, directeur de cabinet d’Abdelmadjid Tebboune, autrefois habitué aux allers-retours express Paris-Alger, se voit aujourd’hui interdit d’accès. Et pour cause, c’est «un affairiste, plus préoccupé par ses propres intérêts que par ceux de son pays», explique un diplomate français au journaliste.

Le couperet ne s’arrête pas aux couloirs du palais présidentiel ou du gouvernement. Tous les députés et sénateurs algériens, jadis friands de séjours à Paris, sont bannis. Idem pour les walis, une partie de la magistrature, y compris juges et procureurs, ainsi que les hauts fonctionnaires. Les militaires impliqués, même à un niveau minimal, dans la coopération sécuritaire avec la France, échappent pour l’instant à l’interdiction. Un sursis qui doit plus aux impératifs opérationnels qu’à une quelconque indulgence politique.

Paris ferme (aussi) les issues de secours

Fidèle à son style bravache, le cercle rapproché d’Abdelmadjid Tebboune, fanfaronne déjà une entrée par la porte de service, via un pays tiers. L’Italie est régulièrement citée. Mais Paris a verrouillé les échappatoires. Pour éviter tout contournement via les autres consulats de l’espace Schengen, la France a brandi l’arme juridique de l’article 22 du Code des visas. Concrètement, cela impose à tout État membre désireux d’octroyer un visa court séjour à un ressortissant algérien ciblé par la mesure de consulter Paris au préalable. Un verrou diplomatique, cette fois scellé dans le marbre du droit européen. «L’option italienne» souvent vantée par Alger saute de facto.

Il y a plus croustillant: le retrait effectif des badges d’accès en zone réservée des aéroports français aux agents diplomatiques algériens gérant la valise diplomatique, pour mettre fin aux abus (trafics, transferts de devises, marchandises destinées au marché parallèle) dont la nomenklatura et ses ayants droit sont passés maîtres. Alger a aussitôt répliqué par mesure de réciprocité. Mais, contrairement à ce que claironne la propagande d’Alger, la France n’a jamais bloqué la circulation des valises diplomatiques. Le problème, expliquent les autorités françaises, n’était pas la valise en soi, mais les abus massifs qu’elle couvrait. Notons des allées et venues sans contrôle dans les aéroports français, non pas pour traiter des affaires d’État, mais pour gérer… les affaires personnelles. Les caméras de surveillance ont tout filmé: des «diplomates» et agents venus accueillir des proches des puissants d’Alger sans statut officiel à la sortie de l’avion, transporter familles entières et bagages chargés, confier des enveloppes aux commandants de bord ou au personnel navigant, passer de petits sacs remplis de cadeaux ou de marchandises destinées au marché parallèle en Algérie. Parfois même des commandes personnelles de hauts responsables, soucieux de satisfaire leurs «petites envies». Jusqu’ici, par crainte de froisser la susceptibilité d’Alger, Paris fermait les yeux. Une expression circulait à Alger: «Orly et Roissy, c’est un peu «dar ammi Mouh» (la maison de tonton Mouh). C’est fini.

Accord UE: un véto français en cours

Accessoirement, Paris opère un dernier tour de vis. Les familles des diplomates en fin de mission ne bénéficieront plus de l’hospitalité hexagonale. Jusqu’ici, la pratique était bien rodée. Épouses et enfants obtenaient sans difficulté une carte de séjour, s’installaient en France pendant que le chef de famille, rappelé à Alger, multipliait les allers-retours pour leur rendre visite. Désormais, c’est terminé. À l’expiration de leur mission, les diplomates algériens seront priés de repartir au pays avec leur famille, bagages compris. Un privilège taillé sur mesure pour une «petite mafia» dirigeante qui aime se projeter sur l’Europe, tout en claironnant un nationalisme de façade, est tombé.

Plus sérieusement, et pendant que certains, à Alger, fantasment encore sur un partenariat stratégique avec l’Union européenne, Bruxelles, elle, passe à l’offensive. Ce que l’on sait déjà, c’est que la Commission européenne a lancé une procédure d’arbitrage contre les restrictions commerciales et d’investissement imposées par Alger. Ce que l’on dit moins: dans l’hémicycle français, plusieurs textes circulent pour geler, voire reconsidérer, l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie. La décision est désormais actée: à la rentrée, la France s’opposera officiellement à toute évolution de cet accord d’association. Un coup de frein net, qui risque de peser lourd sur l’économie algérienne.

On l’aura compris, la stratégie algérienne, fondée sur un mélange de posture nationaliste et de calculs politiques internes, s’est heurtée à une France qui, pour la première fois depuis l’indépendance, a rompu avec la logique de connivence historique. Désormais, l’Hexagone «judiciarise, européanise et bureaucratise sa riposte», résume Sifaoui. Les sanctions frappent directement les intérêts de la nomenklatura algérienne, l’empêchant de profiter de l’Europe.

La fin d’une époque…et d’un régime de bras cassés

Les tentatives d’Alger de brandir «l’option italienne» se sont heurtées à la réalité. Rome applique la solidarité Schengen. D’ailleurs, ce que le régime d’Alger ne dit pas, c’est que la position de l’Italie sur le Sahara occidental est favorable au Maroc, Rome soutenant le plan d’autonomie.

Les accords vantés par Tebboune se révèlent asymétriques, l’Italie étant la grande gagnante en consolidant son rôle de hub gazier européen. Sans coup férir. «Miser sur l’entregent supposé de Giorgia Meloni pour amadouer Donald Trump, et espérer ainsi repositionner Paris, relève plus du conte pour enfants que de la stratégie diplomatique. Un exercice de géopolitique… niveau école maternelle. Pendant que certains s’agitent devant les caméras, les leviers véritables (mandats d’arrêt, activation d’articles de loi, procédures d’arbitrage, retrait de badges) avancent en silence. Ce sont eux qui sculptent la réalité, bien plus sûrement que les postures ou les communiqués rageurs», résume Mohamed Sifaoui.

Ce bras de fer acte la fin d’une relation malsaine où l’Algérie pouvait insulter Paris sur la place publique tout en bénéficiant de ses largesses. Le régime Tebboune se retrouve piégé par ses propres excès et son incapacité à anticiper l’attitude résolue de Paris, en voie de devenir celle de Bruxelles. Ce choc révèle surtout l’incompétence structurelle d’un pouvoir plus soucieux de communication que de résultats. Les mesures sont ciblées, basées sur le droit, européennes, et frappent dans le confort international de la caste au pouvoir. Une humiliation et la preuve qu’en diplomatie, les effets de manche ne remplacent pas une véritable politique étrangère. «Peut-être qu’Abdelmadjid Tebboune et son cercle rapproché trouveront désormais plus de sérénité en troquant Paris pour les côtes turques. Les amis locaux ne manqueront pas d’immortaliser leurs escapades», ironise Sifaoui.

Par Tarik Qattab
Le 14/08/2025 à 12h23