La décision est pour le moins surprenante et elle jure avec le discours en vogue en Tunisie, présidée par un Kaïs Saïed dont la seule qualité est d’être un hâbleur hors pair, au discours marqué par un panarabisme d’un autre âge et d’une franche haine vouée à Israël. Elle tranche également avec les velléités hégémoniques d’un pouvoir algérien qui croyait avoir vassalisé à jamais son «petit frère». Et pour cause.
Hier vendredi 27 octobre, et au vingt et unième jour de la guerre entre Israël et le Hamas, l’Assemblée générale de l’ONU a réclamé, à une large majorité, une «trêve humanitaire immédiate». La résolution non contraignante a recueilli 120 votes pour, 14 contre et 45 abstentions, pour 193 pays membres de l’ONU. Initiative de la Jordanie, tous les pays arabes, à commencer par le Maroc, y ont adhéré. Sauf deux: l’Irak et la Tunisie, qui se sont abstenus. C’est surtout l’attitude de cette dernière qui a pris de court plus d’un. Notamment dans l’Algérie voisine, qui a voté en faveur de cette résolution et qui prenait pour argent comptant l’alignement de Tunis sur sa politique étrangère.
Techniquement, l’abstention (option prise par des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, le Japon ou le Canada) ou le rejet (comme ce fut le cas pour les États-Unis) fait les affaires d’Israël. La résolution et le vote qui s’en est suivi ayant été qualifiés, séance tenante, d’«infamie» par l’ambassadeur israélien à l’ONU, Gilad Erdan.
«C’est un jour sombre pour l’ONU et pour l’humanité», a-t-il fustigé, assurant qu’Israël continuerait à utiliser «tous les moyens» à sa disposition pour «débarrasser le monde du mal que représente le Hamas» et «ramener les otages chez eux».
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De quoi, finalement, donner raison à un certain Abdelkader Bengrina, l’islamiste en chef du régime algérien, ancien ministre, président du mouvement Al Bina et, surtout, porte-parole officieux de la Mouradia. Samedi 12 août dernier, il avait affirmé que la Tunisie va normaliser ses relations avec Israël. «La Tunisie va normaliser ses relations avec Israël et je sais ce que je dis», a-t-il déclaré. Et d’ajouter: la normalisation entre Israël et la Tunisie aura lieu «bientôt, et même très bientôt», alertant sur une récente visite en Tunisie pour «acheter la normalisation». L’allusion est à peine voilée et elle visait le déplacement à Tunis du Cheikh Chakhbout bin Nahyan Al Nahyan, membre du Conseil des ministres et ministre d’État des Émirats arabes unis, reçu une semaine auparavant par le président tunisien Kaïs Saïed.
Si la Tunisie rejoint le front de la normalisation, a poursuivi Bengrina, «l’Algérie aura été ceinturée par la menace israélienne». Et il ne croyait pas si bien dire. Lourde de sens, l’abstention tunisienne à l’ONU annonce également, malgré les discours ambiants et autres timides démentis, un rapprochement clair de la Tunisie vis-à-vis d’Israël. Un prélude à une inéluctable normalisation? La Tunisie agit en fonction de ses intérêts propres et légitimes et signifie, dans les faits, une indépendance quant au dictat du voisin. Le dindon de la farce au bout du compte n’est autre que l’Algérie.
Il y a à cela plusieurs explications possibles, analyse Mohamed Bouden, politologue et spécialiste du Moyen-Orient. «Entre la volonté de Tunis de marquer son désaccord quant à une éventuelle absence d’équilibre dans le texte de la résolution ou, au contraire, sa volonté de confirmer ce qui circule dernièrement sur une forme de normalisation de ses relations avec Israël, toutes les interprétations sont possibles», relève-t-il. Une chose est sûre: la Tunisie a pris le contrepied du régime d’Alger. Une souveraineté de plus en plus affirmée depuis la nomination, le 7 février dernier, d’un nouveau chef de la diplomatie, à savoir Nabil Ammar, en lieu et place de Othman Jerandi, à la suite de l’affaire Bouraoui et qui, lui, était acquis aux thèses algériennes?
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Le tout est de savoir comment va réagir le régime algérien, qui pense avoir mis la Tunisie sous sa botte. Un régime qui aura par ailleurs brillé par rapport à sa diplomatie du forfait sur la situation en Palestine, boudant un sommet important pour la paix au Caire, boycottant un discours du président de l’Union interparlementaire (UIP), émettant des réserves sur la déclaration finale de la réunion arabe d’urgence sur la situation en Palestine et dénonçant une réunion extraordinaire sur le sujet du Comité exécutif de l’Organisation de la conférence islamique. Une démission aussi bien intellectuelle qu’opérationnelle qui en dit long sur une diplomatie jadis active, mais qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. Car derrière les bouderies à répétition et les mouvements d’humeur se cachent surtout l’impuissance et l’impéritie d’un régime résolument à la dérive, y compris sur la scène internationale.
Par peur de représailles ou par intérêt, Tunis caresse Alger dans le sens du poil, mais uniquement quand il s’agit de paroles peu, ou pas, engageantes. Sur le plan symbolique, le tout premier déplacement du nouveau premier ministre tunisien, Ahmed Hachani, nommé mardi 1er août 2023 en remplacement de Najla Bouden, a été effectué en Algérie. Sur le plan politique, c’est décidément une autre histoire. Et Alger n’y pourra pas grand-chose.
«Pour l’heure, l’Algérie a une marge de manœuvre très limitée, le pays étant isolé sur le plan international et ayant très peu d’influence dans sa région. La Tunisie, de par les liens politiques et sécuritaires qui unissent les deux pays, constitue un appui stratégique fort au pouvoir algérien et a donc bien des cartes à jouer, ce qui pèse sur la capacité de réaction du régime voisin. Alger peut certes activer les leviers des mesures sur les frontières, notamment pour limiter ou stopper les flux de ses touristes. Comme elle peut revoir ses aides financières. Mais pour l’heure, c’est peu probable et la Tunisie le sait», conclut Mohamed Bouden.