Les Français et Emmanuel Macron: la fracture

La cote de popularité du Président français Emmanuel Macron atteint son plus bas niveau depuis sa réélection.. AFP or licensors

ChroniqueEmmanuel Macron, réfractaire à un vrai et authentique dialogue social, en est arrivé à devoir gérer, selon les observateurs, non pas «l’impopularité» mais «l’hostilité».

Le 10/05/2023 à 16h01

Ce que suscite le président français Emmanuel Macron au sein de la classe politique, des médias et de l’opinion publique est impressionnant. Une recherche sur Google du nom Macron – accolé aux énoncés qui font son actualité– montre des résultats qui se chiffrent en millions.

Pour «Macron et solitaire», le moteur de recherche fait remonter 7.090.000 résultats, dénotant d’une déconnexion certaine de la réalité française. Pour «Macron et colère», le moteur de recherche fait remonter 6.970.000 résultats. Pour «Macron et chaos»: 4.350.000 résultats. Pour «Macron et mépris»: 1.650.000 résultats. Pour «Macron et déception»: 1.910.000 résultats. Pour «Macron et impopularité»: 1.030.000 résultats. Pour «Macron et arrogance»: 670.000 résultats. Pour ce qui est de la politique étrangère, son nom est souvent associé à «confusion» (2.270.000 résultats).

Le ressentiment des Français à l’égard de l’actuel président va crescendo. Les sondages se suivent et se ressemblent à l’instar de celui de l’institut Elabe du 24 avril 2023: pour 69% des Français, la réélection de Macron (en avril 2022) a été «une mauvaise chose pour le pays», 66% jugent son action «décevante» et 55% «n’adhèrent pas à ses idées et n’apprécient pas sa personnalité».

Plus que du «désamour», il s’agit d’un sévère désaveu pour un jeune président qui était porteur d’espérance! Essayant de rétablir le lien brisé, Macron ne cesse de sillonner le pays mais sans impact sur son image. Au contraire, la situation reste tendue et la mobilisation sociale ne faiblit pas.

Le 7 mai, il a publié sur Twitter un message personnalisé, calligraphié de sa main, pour dire: «Merci à tous mes compatriotes qui, il y a six ans, m’ont fait confiance pour la première fois.» Ce message ambigu et mal accueilli –qui s’adresse aux électeurs de 2017 et non à ceux de 2022– est, selon les observateurs, une manière maladroite de «relancer le quinquennat». L’écrit exprimant surtout la déprime du président.

Des formules et mots désobligeants ont heurté le peuple

Les conseillers du président estiment, à tort, que le ressentiment des Français serait dû à un déficit de communication… alors que ce qui lui est reproché est plus profond, notamment cette condescendance qui structure sa personnalité.

Le verbe macronien est perçu comme méprisant et arrogant. Le passage en force de la réforme de la retraite de 62 à 64 ans, en enjambant le vote au Parlement, a été perçu comme une violation de la volonté populaire. Macron, réfractaire à un vrai et authentique dialogue social, en est arrivé à devoir gérer, selon les observateurs, non pas «l’impopularité» mais «l’hostilité»!

Ses prédécesseurs François Hollande et Nicolas Sarkozy, même au sommet de leur impopularité, n’ont pas fait l’objet de cette radicalité de jugement. On leur reprochait une action politique peu efficiente et des dérives parfois scandaleuses…

Mais face à Macron, le malaise est encore plus grave car il est d’ordre «psycho-sociologique». En lien avec l’inconscient collectif du peuple français, nourri d’une tumultueuse histoire et d’un tempérament batailleur et libertaire. Emmanuel Macron a voulu passer outre ces particularités en prenant la posture du défi et du bras de fer.

Ses autres prédécesseurs charismatiques et imprégnés d’histoire, comme Charles de Gaulle, François Mitterrand et Jacques Chirac, n’ont jamais adopté la voie de la «force» pour engager des transformations socioéconomiques profondes.

A l’opposé de Macron, ils modulaient leurs approches, avançaient ou reculaient en tenant compte de l’horizon de réceptivité et des réelles attentes et besoins de leurs concitoyens.

Ils avaient le souci de l’explication, du débat contradictoire et des échanges francs et ouverts pour aboutir à des solutions construites sur le compromis ou la synthèse.

Macron n’est pas de cette école.

Un déficit de culture partisane

Au-delà de l’expertise technique qui priorise les chiffres et les courbes, Macron a été rattrapé par son déficit en matière de culture partisane. Contrairement aux présidents français –qui ont été investis par des partis politiques– rodés au jeu électoral, dans toutes ses déclinaisons, Macron n’a jamais connu d’autres scrutins que celui de l’élection présidentielle.

Macron, issu de la «superstructure», ne s’est jamais frotté aux électeurs lors de scrutins communaux, départementaux, régionaux ou législatifs. Le terrain électoral lui aurait imposé d’adopter une attitude humble et de développer des aptitudes d’écoute, d’échange, de concertation et d’empathie pour trouver des solutions aux besoins des gens.

On estime aussi que les difficultés du président français viennent aussi de son désintérêt pour l’histoire et de la dynamique socio-historique soutenue par des idéologies définies. Macron a voulu contourner tout cela. Quand il s’est déclaré candidat la première fois en 2016, il l’a fait en tant que «candidat hors système». Il a voulu créer un nom, une candidature sans rien devoir à personne.

Les illusions de Macron sur une France «start-up» et dépolitisée

Il a présenté comme une «start-up» son mouvement «En Marche» (2016-2017), devenu «La République en marche» (LREM), puis «Renaissance» en 2022.

La start-up a commencé, en 2016, par collecter des dizaines de milliers de témoignages-diagnostic de la société française. Les questionnaires ont été traités par des algorithmes gérés par des «experts». LREM a été ainsi étiqueté «parti digital». La notion classique d’adhésion (devenue numérique) a été déconnectée des territoires, des sections locales des partis politiques traditionnels, des militants authentiques et des grandes figures politiques locales.

LREM a permis à de nombreux novices issus de la société civile, et parmi eux de nombreux entrepreneurs, d’accéder à l’Assemblée nationale. Macron a cru se rapprocher de son rêve d’une France «start-up nation». Des critiques acerbes ont fusé contre le président considéré comme un «produit politique», porté par une démarche de marketing menée par des experts qui visaient «l’acceptation-client».

LREM a été vu comme un parti politique sans politique, juste une marque. L’entreprise étant devenue un modèle politique, expliquant ainsi l’indifférence de Macron aux opinions.

Par la suite, LREM a été marginalisé et le pouvoir ultra personnalisé. Il n’acceptait plus la contradiction car Macron avait tout créé. La fracture était inévitable.

Macron a tout bouleversé: l’identité idéologique, les notions d’engagement politique, de militantisme, de débat politique, du lien électoral dans les territoires. Il en a résulté un déficit de démocratie. Tout ce qui pouvait remontrer de la base est devenu inaudible pour un président exerçant le pouvoir d’une manière solitaire.

Aujourd’hui, Macron est face à une situation paradoxale non seulement vis-à-vis de la majorité des français mais aussi face aux sphères financières à qui il cherchait à plaire en poussant les Français à travailler jusqu’ à 64 ans.

Par sa réforme imposée, il voulait rassurer les marchées financiers. Or, il s’est vu infliger, le 28 avril 2023, un avertissement par l’agence de notation Fitch, qui évalue la capacité des Etats à rembourser la dette publique. Celle de la France est passée de «AA» à «AA-». La raison étant, selon l’agence, «l’impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents)».

Une réforme mal conçue, mal expliquée et marquée par un déficit d’analyse prospective. Elle a abouti aux effets inverses de ceux voulus par Emmanuel Macron. Une réforme qui condense les limites de la méthodologie et, en général, de la gouvernance macronienne.

Par Jalal Drissi
Le 10/05/2023 à 16h01