Le nationalisme kabyle ne date pas d’aujourd’hui

Bernard Lugan.

ChroniqueLa revendication indépendantiste kabyle ne date pas de ces dernières années puisqu’elle est née durant les trois siècles de la colonisation turque. Et contrairement à ce que soutient l’histoire officielle algérienne, ces mouvements ne furent à aucun moment animés par un sentiment prénational «algérien», car ce furent des actions identitaires exclusivement kabyles.

Le 01/07/2025 à 11h09

Contrairement à ce que soutient le régime d’Alger, la revendication indépendantiste kabyle ne date pas de ces dernières années puisqu’elle est née durant les trois siècles de la colonisation turque.

Durant la colonisation ottomane, la Kabylie qui ne fut jamais soumise, connût en effet des révoltes continuelles, ce qui posa d’insolubles problèmes à l’administration puisque les liaisons terrestres étant impossibles ou très incertaines, seule la mer permettait de joindre la partie orientale de la Régence d’Alger.

Cependant, et là encore, contrairement aux affirmations idéologiques du système algérien, à aucun moment, ces mouvements ne prirent la forme de revendication «nationale algérienne», car ce furent des mouvements totalement kabylo-centrés. La chronologie permet de bien saisir le phénomène.

Les premières révoltes eurent lieu dès les débuts de la colonisation ottomane avec le «royaume» de Kouko. Fondé en 1515 sur les contreforts du Djurdjura, c’était un verrou sur la route menant de la Haute-Kabylie jusqu’à Bgayet (Bejaïa ou Bougie).

Son fondateur, Sidi Ahmed ou el Kadhi, gouverneur de Bône (Annaba) pour les Hafsides, s’allia aux Turcs afin de chasser les Espagnols installés sur le littoral; puis, une fois ces derniers repoussés, il entreprit de combattre ses anciens alliés.

En 1520, Khayr ad-Din Barberousse décida d’en finir et de conquérir le royaume mais les Kabyles contre-attaquèrent et ils réussirent à s’emparer d’Alger, ce qui força alors Khayr ad-Din Barberousse à se replier à Djidjelli.

«les Turcs ne cherchèrent plus à pénétrer en Kabylie jusqu’en 1714, quand l’Agha turc Mustapha qui voulut la soumettre fut défait par les Aït Aïssa Mimoun. Cet échec marqua le début d’une longue série de soulèvements kabyles contre le colonisateur turc.»

—  Bernard Lugan

Après cette première guerre, les Turcs ne cherchèrent plus à pénétrer en Kabylie, et cela, jusqu’en 1714, quand l’Agha turc Mustapha qui voulut la soumettre fut défait par les Aït Aïssa Mimoun. Cet échec marqua le début d’une longue série de soulèvements kabyles contre le colonisateur turc:

- En 1757, éclata la révolte des Guechtoula durant laquelle le commandant turc Cherif Agha fut tué à Boghni;

- En 1767, les Flissa Oum Ellil attaquèrent les zones contrôlées par les Turcs. Leur offensive fut victorieuse et ayant conquis la Mitidja, ils furent alors aux portes d’Alger quand une querelle avec leurs alliés Maatka sauva la Régence;

- En 1768, à leur tour, les Zaoua envahirent le Dar es sultan, autrement dit la Mitidja, et ils menacèrent Alger;

- En 1798 et en 1799, les Flissa Oum Ellil se soulevèrent à nouveau. Au même moment, la révolte de la confrérie soufie des Derkaoua entraîna plusieurs tribus tant arabes que berbères de l’Ouarsenis et de petite Kabylie;

- En 1799, une colonne turque envoyée contre les Aït Ouaguenoun fut mise en échec à Akaoudj (Aît Aoussa Mimoun), près de Tizi Ouzou;

- En 1809 l’Agha turc fut battu à Makuda, à une vingtaine de kilomètres de Tizi Ouzou;

- En 1813, plusieurs tribus kabyles marchèrent sur Alger, mais les Turcs résistèrent grâce à l’aide que leur prodiguèrent alors deux autres tribus kabyles, à savoir les Flissa Oum Ellil et les Aït Ouaguenoun qui, pourtant, et jusque-là, les avaient combattus;

- En 1810-1815, eut lieu la guerre des tribus des Babors et celle des Iflissen de la Soummam;

- En 1814, se déroula une nouvelle campagne contre Alger durant laquelle la Mitidja fut conquise par les Flissa Oum Ellil alliés aux Aït Ouaguenoun;

- En 1819, eut lieu le soulèvement des Ameraoua du Sebaou et des Iguechtoulene de Boghni qui fut écrasé par des tribus arabes alliées à la Régence turque.

- En 1823-1824, un vaste mouvement se produisit en Kabylie avec le siège de Bougie par les Mezzaïa cependant que les Aït Abbes isolaient Alger en coupant la route Alger-Bougie-Constantine;

- En 1825, à Abizar, près de Timizar, au nord de Tizi-Ouzou, les Aït Jennad repoussèrent les forces turques;

- En 1829 l’Aurès qui refusait l’impôt se rebella, ce qui entraîna les sanglantes représailles du bey turc de Constantine;

- Enfin, à la veille de la conquête française, les Aït Ouaguenoun et les Aït Djennad s’apprêtaient à marcher contre Alger.

Une fois encore, et contrairement à ce que soutient l’histoire officielle algérienne, ces mouvements ne furent à aucun moment animés par un sentiment prénational «algérien», car ce furent des actions identitaires exclusivement kabyles.

Par Bernard Lugan
Le 01/07/2025 à 11h09