L’origine des conflits sahéliens n’est pas le djihadisme, mais l’irrédentisme touareg. La guerre actuelle qui a éclaté au mois de janvier 2012 dans le nord du Mali quand des combattants touareg se réclamaient du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) attaquèrent les garnisons de l’armée malienne, n’avait en effet pas de motif religieux. Le MNLA qui avait été fondé au mois d’octobre 2011, deux ans donc après la fin de la quatrième guerre touareg, engerbait plusieurs mouvements touareg et son ossature était composée de membres de la tribu des Ifora qui avaient servi dans l’armée du colonel Kadhafi.
Avec le MNLA, en plus de la résurgence d’un conflit séculaire entre Touareg et sédentaires sudistes, c’était une nouvelle forme de revendication qui était formulée. Lors des quatre précédentes guerres, les Touareg s’étaient en effet battus pour obtenir plus de justice de la part de l’État malien dirigé par des sudistes. Au mois de janvier 2012, ils exigeaient tout autre chose, à savoir la partition du Mali et la création d’un État touareg, l’Azawad. À ce moment, aucune revendication religieuse n’était formulée.
Un retour en arrière est nécessaire à la compréhension de l’actuelle situation.
Le Sahel, «rivage» en arabe, est à la fois un espace vaste de plus de 3.000.000 de kilomètres carrés, et un couloir de 4.000 kilomètres de long s’étendant du Sénégal au Soudan du Nord, de l’atlantique à l’ouest jusqu’à la mer Rouge à l’est. Au nord, il s’abîme insensiblement dans la désolation saharienne, cependant qu’au sud, il se fond par touches dans le monde des savanes. Le Sahel est un espace de contact et de transition entre l’Afrique «blanche» et l’Afrique «noire». Composé de zones agricoles au sud et pastorales au nord, il met en relation la civilisation méridionale des greniers ou Bilad el-Sudan (pays des Noirs), et celle du nomadisme septentrional, le Bilad el-Beidan (le pays des Blancs). Tout le long de ce rift racial, les populations «blanches» au nord et noires au sud sont historiquement en rivalité pour le contrôle des zones intermédiaires situées entre le désert et les savanes.
Milieu naturellement ouvert, le Sahel est aujourd’hui cloisonné par ces frontières artificielles devenues de véritables pièges à peuples. Longues de près de 17.000 kilomètres, leur tracé est totalement artificiel.
«Durant la décennie 1980, des trafiquants de toutes sortes y trouvèrent un terreau propice sur lequel, depuis l’Algérie qui connaissait sa «décennie noire», se greffèrent les premiers noyaux jihadistes. »
— Bernard Lugan
Au nord (Sahara et Sahel septentrional), quatre grands peuples occupent les immensités saharo-sahéliennes. D’ouest en est, il s’agit des Maures, des Touareg, des Toubou et des Zaghawa qui jouent depuis des temps immémoriaux le rôle d’intermédiaires entre les mondes méditerranéens et soudaniens.
Au sud (Sahel méridional), vivent de nombreux peuples. Certains sont nomades, à l’image des Peul dont les axes de transhumance ne sont pas orientés nord-sud comme cela est le cas pour les Touareg, mais ouest-est. D’autres, les plus nombreux, sont sédentaires, comme les Bambara, les Malinké, les Dogon, les Songhay, les Djerma, les Mossi, les Haoussa, les Sara etc.
Les immensités sahéliennes sont le domaine du temps long où l’arrière-plan ethno-historique explique largement les crispations et les conflits actuels. Ici, les mémoires des peuples ont conservé les souvenirs d’avant la colonisation, quand les pasteurs nordistes razziaient les sédentaires sudistes. Or, après avoir combattu les premiers, ce qui se fit au profit des seconds, la colonisation française rassembla les-uns et les autres, à savoir les nomades et les sédentaires, dans les limites administratives internes de l’AOF (Afrique occidentale française). Le problème est qu’avec les indépendances, ces délimitations qui n’étaient qu’internes à ce vaste ensemble, devinrent des frontières d’États. Or, à l’intérieur de ces jeunes États, comme ils étaient les plus nombreux, les sudistes l’emportèrent politiquement sur les nordistes selon les lois immuables de l’ethno-mathématique électorale.
La conséquence de cette situation nouvelle fut que, dans tout le Sahel, notamment au Mali, au Niger et au Tchad, les Touareg et les Toubou qui refusaient d’être soumis à leurs anciens tributaires sudistes se soulevèrent à maintes reprises. Là est la cause originelle des guerres du Sahel qui débutèrent dès 1963. Durant la décennie 1980, des trafiquants de toutes sortes y trouvèrent un terreau propice sur lequel, depuis l’Algérie qui connaissait sa «décennie noire», se greffèrent les premiers noyaux jihadistes. Enfin, à partir des années 2000, ces derniers s’immiscèrent avec opportunisme dans le jeu politique local, y provoquant la surinfection de la plaie ethno-raciale ouverte depuis la nuit des temps.
Or, cette dernière a d’autant moins de chance d’être refermée que la région est devenue une terre à prendre en raison de ses matières premières (uranium, fer, pétrole etc.). En raison également de son rôle de plaque tournante de nombreux trafics. Avec, en arrière-plan, une tension aggravée par la suicidaire explosion démographique qui a provoqué un phénomène d’extension des terres arables aux dépens des pâturages et une surexploitation des puits. A cela s’ajoutent les atteintes au milieu dues à la surexploitation du bois pour la cuisine, les déprédations dues aux chèvres qui détruisent la végétation arborescente et buissonnante, et aux bovins qui éliminent le couvert végétal.





