Divorce consommé entre Paris et Alger

Mustapha Tossa.

ChroniqueAprès «la diplomatie des sentiments», place à celle du «rapport de force» qu’Emmanuel Macron engage désormais contre le régime algérien. En décidant, dans la torpeur estivale, de suspendre les visas diplomatiques, le président français frappe au sommet: l’élite dirigeante, ses familles et ses proches affiliés.

Le 11/08/2025 à 16h31

Il lui assène un coup si dur qu’il ne peut rester sans effet, quelle que soit la capacité d’encaisser de ce régime. La décision de Macron a été saluée comme un acte de courage qui épouse une réalité de plus en en plus insupportable. Une prise de conscience qu’il faut aller du côté de la dissuasion plutôt que de celui d’une attente stérile.

Et pour cause: sur de nombreux dossiers, Alger a affiché une forme de morgue politique, mêlant défiance et disponibilité assumée à la rupture. Le régime algérien retient en otages deux ressortissants français, poursuivis sous des prétextes jugés fallacieux.

Le premier, l’écrivain Boualem Sansal, est accusé d’atteinte à la sécurité de l’État pour avoir échangé par SMS avec l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, et rappelé que l’Ouest algérien avait autrefois appartenu à l’Empire chérifien marocain.

Le second, Christophe Gleizes, est poursuivi pour «complicité avec une organisation terroriste» en raison de liens supposés avec un cadre sportif du MAK, le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie.

Et si l’on ajoute à cela le refus chronique d’Alger de délivrer des laissez-passer consulaires pour les ressortissants visés par une OQTF et expulsés par la France — y compris lorsque ces individus représentent une menace avérée pour la sécurité nationale —, la coupe semblait pleine.

Emmanuel Macron paraissait dès lors acculé à réagir, sous peine d’être perçu comme un président impuissant, soumis aux diktats d’Alger, dont l’agenda consiste à imposer ses choix à Paris par une logique de chantage et de menaces à peine voilées.

Mais, ce qui caractérise ce tournant pris par Emmanuel Macron à l’encontre d’Alger c’est qu’il fait ouvertement la distinction entre l’élite gouvernante algérienne, frappée de mesure de sanctions dans sa capacité à se mouvoir, et la population algérienne dont il veut protéger les intérêts en tentant de lui garantir de meilleures conditions de mobilité légale.

Pour Emmanuel Macron, le responsable de la crise entre la France et l’Algérie est clairement désigné: les composantes politiques, économiques et médiatiques du régime algérien, qui bénéficiaient jusqu’ici du privilège d’un passeport diplomatique leur offrant une large liberté de circulation.

«Mais la question qui taraude aujourd’hui tous les esprits est celle de savoir comment Alger va réagir à cette escalade française doublée d’une pression européenne. Fuite en avant vers encore plus de ruptures ou remise en cause de sa stratégie de la terre brûlée avec Paris?»

—  Mustapha Tossa

En comparaison avec d’autres dictatures militaires, la dictature algérienne ne fait pas exception. Le passeport diplomatique est massivement distribué comme un passe-droit à tous ceux que le régime veut récompenser à commencer par les membres des familles de l’élite dirigeante.

Leur imposer un visa pour la France équivaut à une forme de révolution culturelle inédite dans les relations franco-algériennes. D’autant plus qu’il est prouvé que cette élite a réussi au fil des ans à se constituer un véritable patrimoine immobilier et financier sur les bords de la Seine.

Mais le signal le plus dur envoyé par Emmanuel Macron, et qui traduit sa volonté de sanctionner le régime algérien, réside dans l’activation des mécanismes de solidarité européenne afin de tenter de fermer l’ensemble de l’espace Schengen aux dirigeants d’Alger. Reste à savoir si les autres capitales accepteront de suivre Paris dans cette démarche.

Si cette position française ne fait pas encore l’unanimité, elle a déjà installé un climat de méfiance au sein de l’Union à l’égard du pouvoir algérien. Certains pays pourraient toutefois se montrer réticents, à l’image de l’Italie, qui entretient actuellement des relations particulièrement étroites avec Alger, scellées par des contrats gaziers avantageux et des tarifs préférentiels, dans un contexte de véritable «lune de miel» diplomatique.

Mais la question qui taraude aujourd’hui tous les esprits est celle de savoir comment Alger va réagir à cette escalade française doublée d’une pression européenne. Fuite en avant vers encore plus de ruptures ou remise en cause de sa stratégie de la terre brûlée avec Paris?

Saut dans l’inconnu ou retour forcé au réalisme et au pragmatisme?

Il est absolument certain que le régime algérien, si tétanisé soit-il par cette décision, ne restera pas les bras croisés et ne fera pas comme si de rien n’était.

Le fil de sa relation avec Paris est tellement tendu qu’il ne peut plus se permettre le luxe d’attendre l’échéance de 2027 pour espérer un changement de locataire de l’Élysée et, par conséquent, un changement de politique algérienne de la France.

Le temps presse et l’heure est aux choix cruciaux.

Par Mustapha Tossa
Le 11/08/2025 à 16h31