La nouvelle est tombée comme un couperet et c’est le bien informé Mohamed Sifaoui, journaliste franco-algérien qui la révèle en exclusivité. Nadir Larbaoui, ancien Premier ministre algérien, est désormais frappé d’une ISTN, soit une interdiction de sortie du territoire national, une décision signée début septembre par le président Abdelmadjid Tebboune sur instructions de l’état-major de l’armée aux commandes. Celui qui fut un temps le bras droit du président, puis son chef de gouvernement, découvre aujourd’hui la face la plus brutale du système auquel il a longuement prêté allégeance et qu’il a servi sa carrière durant.
Cette mesure administrative, dont l’arbitraire n’a d’égal que la brutalité, n’est pas anodine. Elle illustre une mécanique désormais banalisée en Algérie. L’ISTN est devenue l’ultime instrument de contrôle, une épée de Damoclès suspendue au-dessus de tous les dignitaires dès qu’ils perdent l’immunité que leur confère la proximité avec le pouvoir.
Une chute sans parachute
Diplomate de carrière, Nadir Larbaoui a servi à New York et au Caire avant d’intégrer les cercles étroits d’El Mouradia. Directeur de cabinet de Tebboune, il avait su s’imposer comme un exécutant docile, un relais discret entre le palais présidentiel et l’appareil bureaucratique. En 2023, il est propulsé Premier ministre, symbole d’une continuité que le régime voulait présenter comme une stabilité retrouvée. Mais son style technocratique et, surtout, ses escapades l’ont rendu vulnérable. Le 28 août, sa tête roule. Sous la pression du général Saïd Chengriha, chef d’état-major, Tebboune le limoge. Officiellement pour «faute professionnelle», officieusement pour avoir franchi des lignes invisibles fixées par un système où la loyauté se mesure à l’obéissance absolue.
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Ce qui a précipité la chute de Nadir Larbaoui n’est pas seulement son absence lors de la tragédie de Oued El-Harrach, mais la colère noire du général Saïd Chengriha, resté sans nouvelles d’un Premier ministre introuvable pendant plus de quarante-huit heures, alors que le pays était en effervescence, les Algériens étant indignés par la noyade dans des eaux usées de 18 personnes, explique Mohamed Sifaoui. En déplacement à New York pour une virée privée aux allures galantes, Larbaoui s’était rendu injoignable, au point que ni son cabinet, ni même le chef d’état-major ne parvenaient à l’atteindre. Pour ne rien arranger, son absence coïncidait avec celle de Tebboune, parti en Allemagne pour ses vacances et son suivi médical.
Les deux têtes de l’exécutif avaient ainsi déserté le pays au même moment, laissant l’État paralysé en pleine catastrophe nationale. Cette irresponsabilité, ou plutôt indisposition, perçue comme un affront, a déclenché la fureur de Chengriha, qui a exigé la tête du Premier ministre. Tebboune, initialement réticent à s’en séparer si tôt, a fini par céder sous la pression, sacrifiant son chef du gouvernement pour préserver l’équilibre précaire au sommet de l’État.
Une marque de fabrique
L’éviction aurait pu marquer la fin d’un parcours politique et ouvrir la voie à une retraite dorée, comme pour certains prédécesseurs. Mais Tebboune & Co ont choisi la voie dure. Larbaoui est désormais cloué au sol, privé de passeport, assigné de facto à résidence. Le régime invoque une enquête, mais nul ne sait sur quoi elle porte exactement.
Cette ISTN est plus qu’une sanction. Elle est une humiliation. Le message est limpide. Personne, pas même l’ex-Premier ministre, n’est à l’abri. Ceux qui hier servaient le régime découvrent qu’ils ne sont que des fusibles, interchangeables et jetables. En Algérie, l’ISTN est devenue une tradition politique, un outil de terreur administrative. Elle ne frappe pas seulement les opposants. Journalistes, généraux, hommes d’affaires, ministres, tous peuvent se retrouver un jour interdits de sortie du territoire.
Cette pratique rappelle les heures sombres des régimes de l’Est: contrôler les déplacements, c’est contrôler les consciences. Elle permet surtout d’empêcher les langues de se délier à l’étranger, qu’il s’agisse de révélations embarrassantes ou de secrets financiers. Le régime, qui ne produit ni armes stratégiques ni avancées scientifiques majeures, redoute par-dessus tout que ses turpitudes (magouilles, malversations, liens occultes) soient exposées hors frontières.
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Le cas Larbaoui s’inscrit dans une longue série. Les cercles du pouvoir algérien fonctionnent comme une machine à recycler ses fidèles avant de les sacrifier. L’amitié présidentielle y est une illusion périssable. La loyauté, une monnaie qui se dévalue dès le premier soupçon. Tebboune, qui promettait au début de son mandat dialogue et moralisation, agit désormais comme un prince méfiant, prompt à couper les têtes dès que l’ombre d’un doute s’installe. En Algérie, grandir dans l’ombre du régime, c’est accepter le risque de finir broyé par la guillotine administrative.
«La disgrâce de Larbaoui doit être méditée par tous ceux qui gravitent autour du pouvoir. Car ce régime n’accorde ni garantie ni protection. L’ISTN n’est pas une mesure exceptionnelle: elle est devenue le rituel d’un État méfiant envers ses propres serviteurs, un outil d’intimidation et de neutralisation», résume Sifaoui.
Au fond, la sanction contre Larbaoui ne dit pas tant de choses sur lui que sur le système lui-même. Un système qui ne fait confiance à personne, qui s’appuie sur la peur et qui, incapable de bâtir des institutions solides, préfère museler, isoler, humilier. Un régime qui consomme ses cadres comme du combustible, et les jette dès qu’ils deviennent encombrants. En Algérie, l’ISTN n’est pas une punition: c’est une signature. Celle d’un pouvoir qui s’accroche en broyant ses propres enfants, et qui rappelle chaque jour à ses courtisans que leur avenir se joue à la seule humeur d’un autocrate ou d’un chef de l’armée. Au suivant.












