Boualem Sansal a enfin été libéré. Acculé par l’accumulation de ses échecs diplomatiques, et malgré son comportement autiste, le «Système» algérien a en effet fini par comprendre que la prise en otage de l’écrivain franco-algérien achevait de nuire à la réputation d’une Algérie de plus en plus isolée. En emprisonnant Boualem Sansal, l’Algérie a en effet grandement écorné son image internationale, notamment devant le Parlement européen où ses lobbyistes n’ont pas réussi à empêcher un vote à l’unanimité exigeant la libération de l’écrivain.
Ceci étant, maintenant que Boualem Sansal a recouvré la liberté, les temps vont venir du bilan politique et historique de sa prise en otage. Si l’emprisonnement de Boualem Sansal fut à l’évidence une réaction épidermique d’Alger face à la claire évolution française au sujet de la question du Sahara occidental, le plus important est que l’écrivain a brisé le tabou sur lequel repose la fausse histoire de l’Algérie fabriquée depuis 1962.
N’oublions pas que le régime d’Alger a justifié l’embastillement de Boualem Sansal par sa déclaration du 2 octobre 2024 faite à un hebdomadaire français: «Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie Ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc».
Ce faisant, Boualem Sansal posait au grand jour la question territoriale qui est au cœur des problèmes du Maghreb. Une question existentielle pour une Algérie faite de bric et de broc comme Karim Serraj et Jilali El Adnani le montrent brillamment dans les colonnes de ce média. Ce fut en effet au profit de l’Algérie française dont l’Algérie algérienne est l’héritière clairement assumée que des pans entiers du Maroc, de la Tunisie et de la Libye furent arrachés à ces trois pays. N’en déplaise à Benjamin Stora qui estime qu’une telle déclaration «blesse le sentiment national algérien», l’Histoire est l’Histoire, ce que, ayant pour l’Algérie les «yeux de Chimène», l’ancien militant trotskiste semble avoir oublié.
«En réalité, le Maroc fut alors démembré et ses droits historiques violés. Tant à l’Est, vers l’actuelle Algérie, qu’au Sud, d’où étaient pourtant parties les ultimes résistances à la colonisation avec Mâ el Aimin et El-Hiba. »
— Bernard Lugan
La question territoriale qui, jusque-là, était un tabou en Algérie, est donc désormais posée et même clairement posée. En effet, à la suite des partages coloniaux furent tracées les frontières d’une Algérie née en 1962. Une Algérie algérienne héritière comme je l’ai dit plus haut de l’Algérie française. Or, les dirigeants algériens refusent d’admettre qu’avant la période coloniale, le Touat, le Tidikelt, le Gourara, la Saoura, Tindouf, Béchar et Tabelbala étaient dirigés par des caïds nommés par le sultan du Maroc. En réalité, le Maroc fut alors démembré et ses droits historiques violés. Tant à l’Est, vers l’actuelle Algérie, qu’au Sud, d’où étaient pourtant parties les ultimes résistances à la colonisation avec Mâ el Aimin et El-Hiba.
Et que dire de Tlemcen, qui fut à quatre reprises une dépendance marocaine? Avant la conquête turque de 1553, Tlemcen fut en effet marocaine sous les Idrissides (entre 790 et 931); sous les Almoravides (entre 1078 et 1143); sous les Almohades (entre 1143 et 1236), et enfin sous les Mérinides (entre 1337 et 1358). Plus généralement, l’on pourrait même évoquer le cas de tout l’Ouest algérien. En effet, et comme le remarqua en 1831 le futur général Louis de Lamoricière qui, parlant des attaches spirituelles, donc politiques, des habitants de la région écrivit: «À Oran, ils font la prière pour le roi du Maroc».
Le paradoxe est que l’Algérie qui demande un insolite référendum pour un inexistant «peuple saharaoui», a en revanche toujours et avec constance, refusé qu’une telle consultation soit proposée aux habitants du Touat, du Tidikelt, du Gourara, de la Saoura, de Tindouf, de Béchar et de Tabelbala au sujet de leur rattachement national. Et que dire du refus opposé à toute demande de référendum en Kabylie?
Affaiblie diplomatiquement après son échec devant le Conseil de sécurité de l’ONU, régionalement brouillée avec le Mali et le Niger, en froid avec la Russie, son allié historique, et vivant dans un climat de fin de règne, l’Algérie va avoir de plus en plus de mal à justifier les charcutages territoriaux opérés à son profit par une colonisation qu’elle voue pourtant aux gémonies.





