«Je n’ai aucune expérience dans l’administration ni dans la gestion. J’étais président d’une association quand je me suis lancé dans la campagne présidentielle de 2019, en soutenant le programme électoral d’Abdelmadjid Tebboune». C’est en ces termes que Nassim Diafat, ancien ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des microentreprises, a expliqué au juge, qui l’accuse de détournement de deniers publics et de corruption, comment il a été parachuté ministre, du jour au lendemain, grâce à un «coup de piston» personnel du président algérien. L’ancien ministre se déresponsabilise ainsi de tous les chefs d’accusation, en confessant qu’il n’est absolument pas qualifié pour le poste où il a été catapulté. Parfaitement incompétent, il ne peut être tenu responsable de la gestion de son département. C’est comme si on confiait le pilotage d’un avion à un boulanger.
Nassim Diafat était ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des microentreprises et des start-ups, poste qu’il a occupé deux années et huit mois durant, soit du 2 janvier 2020, date de la nomination du premier gouvernement sous Tebboune, jusqu’au 8 septembre 2022, date de sa révocation. En avril 2023, au plus fort de la guerre des clans qui opposait les hommes de Tebboune à ceux des généraux, Diafat est placé sous mandat de dépôt à la prison de Koléa, sous les chefs d’accusation de détournement de deniers publics, abus de pouvoir et corruption.
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Son parachutage par Abdelmadjid Tebboune à la tête des microentreprises est d’autant plus rocambolesque que ce «ministère», qui se limitait à un seul bureau à la primature, où Diafat a travaillé successivement sous les ordres de deux Premiers ministres (Abdelaziz Djerad puis Aymène Abderrahmane), allait servir à une vaste opération de détournement de deniers publics au profit de sociétés fictives, dont 12.500 ont été créées par les proches parents de Nassim Diafaf, particulièrement son épouse et ses deux frères, ainsi que leurs complices. Parmi ces derniers, on retrouve les patrons ou ex-patrons de deux sociétés étatiques, à savoir la Société algérienne de réalisation d’infrastructures métalliques (ALRIM) et l’Agence nationale d’appui et de développement de l’entrepreneuriat (ANADE) qui servaient d’écrans à des marchés publics mafieux.
Depuis mercredi 17 janvier, les 38 accusés dans cette affaire, à leur tête l’ex-ministre Nassim Diafat, défilent devant le juge pénal du pôle économique et financier près le tribunal Sidi M’Hamed d’Alger.
Ce qui est grave dans cette affaire, ce ne sont pas seulement les milliers de sociétés bidon créées ces trois dernières années pour siphonner l’argent public et les crédits, jamais remboursés, auprès des banques d’État, mais les révélations faites devant le juge par le principal accusé. En effet, celui-ci a affirmé qu’à son arrivée au ministère délégué chargé des microentreprises, il avait répertorié, en novembre 2020, plus de 2 millions d’entreprises fictives et seulement 77.520 microentreprises réelles, mais pour la plupart au bord de la faillite. Oui, 2 millions d’entreprises fictives en Algérie! Et c’est un ministre algérien qui le déclare devant un juge! En d’autres termes, le système mafieux érigé autour du département des microentreprises fonctionnait en réalité depuis 1996, date de la création de ce ministère.
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Au vu de ce topo catastrophique dans lequel pataugeait le tissu des petites entreprises algériennes, il ne faut pas s’étonner que Tebboune ait jeté son dévolu sur un novice, issu du milieu associatif, qui reconnaît lui-même n’avoir aucune compétence pour gérer une administration, a fortiori tout un secteur névralgique qui a montré son dynamisme et son importance dans les économies des pays normaux. «Le Mal algérien», livre magistral de Jean-Louis Levet et Paul Tolila, retrace de très nombreuses situations d’une administration qui relève davantage de l’humeur de certaines hommes que d’une politique d’État. «Au pays du monde à l’envers», il ne faut s’étonner de rien, et les confessions d’incompétence du ministre Nassim Diafat s’appliquent à la majorité des responsables algériens.
Toutefois, cédant à la contradiction, Nassim Diafat a tenté de blanchir Abdelmadjid Tebboune, en affirmant devant le juge: «Je ne suis pas corrompu et je n’ai pas trahi la confiance du Président de la République».
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Certes, Tebboune, dont l’élection à la présidence algérienne a été très contestée par le mouvement populaire du Hirak, à travers le célèbre slogan de «Tebboune mzawar jabouh laâskar» (Tebboune l’usurpateur a été imposé par les militaires), scandé chaque vendredi de janvier 2020 jusqu’à juin 2021, a également nommé Nassim Diafat pour son jeune âge, en vue de donner la fausse impression qu’il compte faire la part belle aux nouvelles générations dans la nouvelle Algérie… toujours aux mains de gérontocrates.
Ce scandale s’inscrit en droite ligne du mode opératoire du «Système», mais il comprend cette fois-ci une sincérité inhabituelle, en répandant que les responsables algériens sont qualifiés pour une seule chose: naufrager le bateau Algérie.