C’est inédit. Les agences de presse internationales ont informé, mercredi 20 janvier, de l’opération chirurgicale subie par le président Tebboune en Allemagne, bien avant l’agence de presse algérienne, APS. L’entourage de Tebboune a choisi une fois encore un réseau social, Facebook en l’occurrence, pour dire que «le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a subi, mercredi en Allemagne, une intervention chirurgicale réussie sur le pied droit». Et d’ajouter –dans ce qui constitue sans doute le point focal du message de la présidence– que Tebboune devrait regagner l’Algérie «dans les prochains jours (…) dès qu'il aura l'accord de l'équipe médicale».
Les agences internationales ont donc relayé immédiatement le message présidentiel posté sur Facebook, alors que l’agence algérienne a attendu d’interminables minutes avant de mettre en ligne une dépêche.
Ce n’est pas la première fois que le président Tebboune contourne les médias officiels pour communiquer. C’est sur Twitter que Abdelmadjid Tebboune est réapparu, le 13 décembre, après deux longs mois d’absence en Allemagne. Il avait zappé le canal officiel, à savoir la télévision d’Etat algérienne, alimentant de nombreuses interrogations sur cette entorse à la règle. La vidéo postée par Tebboune sur Twitter avait été précédée par des réunions des hauts gradés de l’armée qui ont fait fuiter dans les médias que tous les sujets d’actualité avaient été abordés sans tabou, y compris l’absence prolongée de Tebboune.
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Si le retour contraint de Tebboune en Algérie, le 20 décembre, a réussi à geler la dynamique des appels à son limogeage, le fait qu’il a regagné une deuxième fois l’Allemagne, le 10 janvier, a remis d’actualité sa mise à l’écart. La preuve: deux des organes privilégiés des services algériens ont sévèrement critiqué le président Tebboune. Le 18 janvier, le blogueur Saïd Bensedira, homme lige du général Toufik, qui poste des vidéos depuis Londres, a affirmé avec des mots à peine voilés que Abdelmadjid Tebboune ne servait pas les intérêts de l’Algérie. Il lui a reproché sévèrement de garder à ses côtés son secrétaire particulier, Amirouche, qu’il accuse d’être de connivence avec le Qatar.
Plus significatif: le quotidien El Watan, dont se servait le DRS avant sa dissolution par l’alliance Bouteflika-Gaïd Salah, pour distiller des informations hostiles à l’entourage de l’ancien président, a publié un éditorial qui laisse peu de doute sur le plan fomenté par une aile de l’armée algérienne contre le président Tebboune. Dans cet éditorial, datant du 20 janvier et intitulé «Rompre avec l’illusion» , il est écrit: «C’est dans les moments de grandes difficultés que le rôle d’un chef est primordial. Par sa simple présence physique, il rassure ses sujets, à l’image d’un chef de guerre qui veille sur ses troupes.» Et de préciser: «Le pays, qui est confronté à de multiples crises aussi bien sanitaire, sécuritaire que sociale, ne peut se passer de son Président.» Et d’ajouter encore: «L’autre volet économique de la pandémie requiert aussi des décisions engageant l’avenir de tout un peuple et qui ne peuvent être prises sans l’aval du premier responsable du pays. Il y va de la stabilité de la société toute entière. Les répercussions négatives peuvent être dramatiques à long terme.» «Nos frontières sont en ébullition», prévient l’éditorialiste d’El Watan.
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Pour illustrer cette ébullition aux frontières, cet état de quasi-guerre, qui nécessite la présence du chef suprême des Forces armées (Tebboune), le chef d’état-major, Saïd Chengriha, s’est livré à un show, au vrai habituel au sein de l’armée algérienne, mais il lui a choisi comme théâtre la 3ème région militaire, celle qui longe les frontières avec le Maroc. Sous la supervision de Chengriha, l’armée algérienne s’est livrée, le lundi 18 janvier, à des manœuvres près de Tindouf. Ce show, où plusieurs dizaines de caméras ont été utilisées, participe d’une dramatisation, supposée rendre criante l’absence du chef suprême de l’armée algérienne, alors que les bruits de botte se font entendre à la frontière ouest du pays.
Abdelmadjid Tebboune est impopulaire en Algérie. C’est un président illégitime, désigné par les militaires. Le Hirak ne s’y est pas trompé quand il a scandé «Tebboune Lemzawer, jabouh L3asker» (Tebboune est falsifié, il a été imposé par les militaires). L’illégitimité de Tebboune a été accentuée lorsqu’il a mis toutes ses forces dans le référendum relatif à l’amendement de la Constitution. Le référendum constitutionnel du 1er novembre 2020 a été effectivement historique, mais pas pour les raisons escomptées par Tebboune. Historique a été ce scrutin, parce qu’il a recueilli –officiellement– un taux de participation de 23,7%. Ce qui correspond au taux le plus faible enregistré par un scrutin en Algérie depuis son indépendance en 1962. De ce désaveu sans appel, le président, déjà malade, sort bien affaibli auprès des généraux. Il avait cherché dans le référendum un levier pour faire valoir sa légitimité, il l’a définitivement perdue.
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Les messages postés par Tebboune sur les réseaux sociaux signifient toutefois qu’il n’est pas disposé à céder sa place facilement. En face, le clan des généraux multiplie les appels à un «front interne» et à une «Algérie nouvelle». Mais de quelle Algérie nouvelle s’agit-il? Celle dirigée par des fugitifs, des ex-taulards et des retraités? La réhabilitation des généraux appartient à ces trois catégories: les fugitifs (Khaled Nezzar en est le plus illustre représentant), les ex-taulards (Toufiq qui retrouvera bientôt d’autres camarades de cellule comme Saïd Bey et Habib Chentouf) et les retraités (dont l’honneur a été restauré grâce à la nomination de Nouredine Makri à la tête des renseignement extérieurs).
Les généraux fugitifs, ex-taulards et retraités, essaient de faire du neuf avec du vieux. Mais l’Etat rentier qu’est l’Algérie traverse sa plus grave crise depuis l’indépendance. Cet Etat dont les hydrocarbures représentent 98% des exportations a vu ses recettes, liées au pétrole et au gaz, baisser de 40% en 2020. Si l’on ajoute à cela les réserves de changes du pays qui sont passées de près de 200 milliards de dollars en 2013 à 29 milliards de dollars en 2020, les vieux généraux, habitués à dépenser sans compter, n’ont plus les moyens de leur politique.
De plus, la dévaluation volontaire du dinar a entraîné une flambée des prix des produits alimentaires de large consommation comme les pâtes, le couscous ou encore la sardine. La presse algérienne fait ses grands titres depuis une quinzaine de jours sur le prix de la sardine qui a dépassé 80 dirhams le kilo. Dans cette Algérie, où les citoyens font la queue pendant des heures pour avoir peut-être la chance d’acheter une brique de lait, l’urgence est éminemment sociale, pour ne pas dire alimentaire. Avec Tebboune ou un autre président, la sortie de crise en Algérie ne se fera pas tant qu’il n’y aura pas un Etat civil.